Amar Mezdad revient sur l’exhérédation votée au XVIIIe siècle par les délégués de la Kabylie

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On balance à la face des Kabyles, comme une infamie, cette tradition en contradiction avec le droit musulman et non compatible avec la modernité. Cette loi votée en toute indépendance par les délégués, les députés de la Kabylie en 1744 (?), imposant le non héritage pour la femme. Voilà ce que j’ai appris du temps où je fréquentais la Faculté des Lettres de l’université d’Alger où professaient encore des esprits ouverts.

Durant les affrontements entre l’occupant turc et les Espagnols, de nombreux Kabyles, dont certains étaient mariés, ont participé au combat. Beaucoup ont été faits prisonniers par les Espagnols, et sont restés entre les mains ennemies pendant une longue période. Finalement, certains ont fini par être libérés, parfois après 20 ans ou 30 ans de détention en pays chrétien.

Dans la tradition, une absence de 5 années consécutives, sans donner signe de vie, comme c’était le cas pendant leur détention, était assimilée à une disparition définitive sans espoir de retour : l’absent était par conséquent considéré comme mort. Les épouses étaient déclarées légalement veuves et autorisées à se remarier. Elles ont donc emporté avec elles les enfants et les biens du mari disparu, retenu par les Espagnols.

Au retour des prisonniers, il y a eu beaucoup de règlements de compte, le premier époux toujours vivant assassinant sa femme qui a pris un autre mari en son absence, entraînant avec elle, dans la mort, le 2ème époux et leurs enfants. S’en est suivie une grande vendetta qui a duré des années causant le malheur dans beaucoup de familles.

Les tribus se sont réunies à At Frawsen pour voter cette exhérédation des femmes pour prévenir la réédition de ce grand malheur qui a frappé nos montagnes. Cette loi contraire à la loi musulmane, a aussitôt mis fin aux vendettas. Les chefs de famille l’ont appliquée scrupuleusement, parfois en fonction de critères qui leur sont propres et allant avec leurs intérêts, et l’entourant de beaucoup de garanties : « Taqcict, ur tettawi, ur d-tettawi ». Cette sentence a fait consensus pendant plus de 200 ans, jusqu’à ces dernières décennies.

Les Turcs, parce que non conforme à la chariaa, ont tenté de bloquer cette loi, sans réussir. Ce n’est que depuis l’indépendance que l’État Central arabo-islamique, avec notre consentement silencieux, a commencé à malmener cette loi en la dépouillant de tous ses garde-fous, la rendant incongrue pour les gens de maintenant mais salvatrice pour son époque. Voilà l’argument massue paravent à ces ignares haineux qui exploitent négativement une loi qui n’a jamais été abrogée, mais régulièrement mise à jour, adaptée par chaque famille en fonction de données qui lui sont spécifiques.

Amar Mezdad, écrivain