De la nécessité de se libérer de Taqvaylit, de sa moralité des mœurs et de ses vérités anciennes (par Romain Caesar)

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L’homme, selon Nietzsche,  est un animal qui vénère, mais aussi un animal méfiant. Et l’homme kabyle, ou l’être kabyle,  comme tous les hommes, est capable d’être méfiant vis-à-vis de ses vénérations.

Pour ce faire, il doit juste se libèrer de la peur qu’il a de la morale religieuse, une morale qu’il appelle Taqbaylit. Taqbaylit qui exprime, insidieusement, à la fois la langue, la femme et la morale religieuse.

Cette morale qui se dit Tradition, selon beaucoup de Kabyles,  vient des ancêtres.  Elle est donc sacrée et intouchable. Elle est faite de vérités absolues qu’aucune science ne peut remettre en cause.  Elle provient des grands Maîtres de vérité de la région : saints, poètes, chefs de guerre, etc. Tous des croyants. Nous pouvons ajouter à ceux-là les politiques et les intellectuels d’après guerre, même s’ils se veulent officieusement athées et laïcs, ils sont de ce point de vue des croyants qui s’ignorent.  

Cette morale ou cette Tradition est le parti polico-religieux le plus puissant en Kabylie.  Rien ni personne n’est capable de l’ébranler. Elle a tout dompté : la science,  l’art, la culture, enfin tous les outils qui sont susceptibles de se retourner un jour contre elle. Elle s’impose partout,  même dans les tavernes de Paris, où se rencontrent les intellectuels et les artistiques de la diaspora. C’est le Big Brother d’Orwell. Elle suit chaque Kabyle comme son ombre. Le Kabyle parisien vit les mêmes interdits moraux que celui qui est resté au village.  C’est uniquement avec cette morale, ce burnous intérieur, qu »il se sent Kabyle. C’est-à-dire un être communautaire, un Nous devant lequel son Je s’eclipse, s’agenouille, s’éteint,  se nie et se renie. 

Pour ne pas perturber l’ordre établi par cette morale kabylo-islamique,  le progressiste kabyle s’est créé paradoxalement, comme un bon Chrétien refoulé,  là encore je vais recourir à Nietzsche « un désir de certitude – qu’il soit du côté de la science  (positivisme), de la philosophie  (métaphysique), de la politique  (anarchisme), de la c(k)ulture  (nationalisme), de la morale (fatalisme), de l’existence  (pessimisme, nihilisme ) – témoigne d’une telle faiblesse, d’une sorte de maladie de la volonté. »

Pour affronter ou supporter tout cet héritage, c’est-à-dire toute cette moralité des moeurs dans ses normes traditionalistes qui nie l’individu, il a opté pour la démocratie.  Un régime sensé lui octroyer certaines libertés.  Il fait quelques virées nocturnes, avant de se rendre compte qu’il est incapable, car manquant de moyens et de culture, de tenir tête à ce monstre impersonnel et invisible qui est la morale kabylo-islamique.  

Il reste peut-être un moyen de libération, tout n’est pas perdu pour les Kabyles méfiants, cette petite minorité au regard aigu et fin, c’est de créer dans nos villes et villages,  ainsi qu’en exil,  des clubs, des ateliers et des cercles philosophiques. Des cercles où l’on apprend d’abord la mystification des vérités absolues sacralisées par les ancêtres, les saints, les poètes, les scientifiques, les politiques et les chefs de guerre… Des centres d’exorcisme afin de sortir de chaque corps le Nous qui l’habite.

Des ateliers de théâtre, chers à Mohend U Yehya,  pour développer la catharsis. Guérir de ses vérités anciennes, de ses passions tristes, libérer nos pulsions de vie, convertir nos haines et nos peurs, enterrer nos ancêtres dont le poids nous brise les reins.

Théâtre tragique et philosophique pour nous sauver de nos vénérations.  Comme dirait Nietzsche, encore une fois, dans l’un de ses enseignements « Supprimez ou vos vénérations, ou bien, vous-mêmes ! »

Romain Caesar, écrivain