Langue Kabyle : de l’oralité à l’écrit, de l’écrit à la numérisation (Par Mohand Belkacem)

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Le passage de l’oralité vers l’écrit ne signifie pas l’abandon de l’oralité. Cela signifie la codification de la langue pour la sauvegarder, la pérenniser dans le temps et l’introduire dans d’autres domaines hors littérature populaire (poésie, chants, …).

Combien de littérature orale kabyle produite et qu’on n’a pas pu sauvegarder parce qu’elle n’a pas été transcrite. Bon nombre de productions littéraires orales de langue kabyle auraient disparues à travers le temps faute d’écrit. L’oralité kabyle n’a tout de même pas commencé à l’époque de Si Muhend u Mḥend ou de Ccix Muḥend u Lḥusin. Si nous avons pu sauvegarder ce que ces deux hommes et bien d’autres avaient produit, c’est qu’on avait entamé le passage à l’écrit. Imaginons ce qui a été perdu à travers les époques avant que l’on commence à transcrire la littérature kabyle.

Mais aujourd’hui, l’écrit papier ne suffit plus, l’enseignement non plus.

Nous assistons à une profusion d’écrits divers en langue kabyle mais paradoxalement la langue se perd davantage parmi la jeune génération. La raison ce n’est ni le manque de l’écrit, ni l’enseignement officiel (même si l’enseignement est une porte d’entrée vers la sauvegarde) car la langue continue de se pratiquer socialement sans interdits. La raison est que la population a accès à d’autres canaux de communication et autres formes de contenu non investis par la langue kabyle, je cite : les nouvelles technologies.

L’ordinateur et le téléphone ont donné accès aux jeunes générations à un autre type de contenu et de services. Nous passons plus de temps avec les machines qu’avec nos semblables humains. Nous interagissons avec des écrans déclinés dans d’autres langues et non pas en kabyle. Nous utilisons des GPS, des assistants de voix, … et autres services indisponibles en langue kabyle. Ce qui accélère de façon vertigineuse l’assimilation linguistique. Si aujourd’hui nous avons un peu de choix pour résister car ces technologies ne sont pas encore généralisées, ce ne sera pas le cas demain. Le jour où on nous produira des services et qu’on nous oblige d’interagir avec ces services par la voix (ou le texte), nous n’aurons plus le choix que d’abandonner notre langue puisqu’elle ne sert plus à rien (la nouvelle fonction numérique).

Avec l’événement imminent de la 5G des réseaux de télécom, le monde sera bouleversé et des langues même officielles vont souffrir.

Des projets comme CLDR, Common Voice, Tatoeba et bien d’autres, profusion du NLP basé sur l’intelligence artificielle, sont créés justement pour régler ce problème (le passage au numérique). Le Kabyle, parmi plus de 650 autres langues au monde (ISO 639-2 Alpha 3), a l’avantage d’avoir une place qui lui permet d’intégrer tous les systèmes informatiques et d’information, et est toujours en course pour sa survie. Mais si nous continuons à ne pas agir (production de contenu numérique, localisations, corpus linguistiques numériques), nous risquons d’assister au déclin de la langue kabyle.

Mohand Belkacem – Ibetṛunen
05-06-2021