Romain répond — Les 4 identités Kabyles qui s’affrontent en Kabylie et dans la diaspora

Romain yerra-as — 4 tmagiyin tiqbayliyin yettnaɣen d tmurt akked di lbeṛṛani

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Nous parlons souvent des Kabyles, de leur identité spécifique et millénaire, mais sans jamais essayer de la définir, ni de savoir combien elle pèse réellement dans une Algérie exclusivement arabo-islamique. Cette identité kabyle spécifique et millénaire est-elle homogène, comme l’identité arabe, ou multiple ?

S’il n’y avait qu’une seule identité homogène, comme le croient les arabes algériens, pourquoi alors toutes ces « guerres » intérieures entre Kabyles où chacun essaye de montrer à ses « frères » kabyles qu’il est le plus authentique et le plus vrai ?

Si nous essayons de répertorier les différentes identités kabyles que nous connaissons, nous allons peut-être avoir ne serait-ce qu’un soupçon de piste qui nous aidera peut-être à comprendre un peu cette (ces) identité(s) spécifique(s) et millénaire(s).

« Identité spécifique et millénaire » : des termes que tout le monde utilise, dans lesquels tout le monde se reconnaît tant qu’ils ne sont pas définis. Ils forment un consensus, fragile certes, mais il nous permet à chaque fois de sauver nos vies.

Voici donc les différentes identités kabyles qui s’affrontent en Kabylie, voire même au-delà, dans la diaspora.

1- L’identité kabyle progressiste 

Elle est revendiquée généralement par les Kabyles francophones, et que l’arabisation et l’islam ont poussés dès 1962 hors de l’arène, car ils défendent les valeurs universelles : la liberté et l’humanisme. Voyant leur combat perdu, certains ont fui le pays vers l’Occident, puis d’autres, ceux qui n’ont pas eu la chance de partir, continuent de trouver leur bonheur dans les romans, la musique occidentale et le vin. Une identité complètement écrasée par l’arabisation, l’islam et la tradition kabyle. S’ils sont encore vivants, voire même heureux, c’est grâce à la langue française. Cette identité est presque morte. Elle est devenue plus philosophique, voire thérapeutique, que politique.

2- L’identité nationale kabyle

Elle est revendiquée par les Kabyles qui rêvent de construire une nation. Elle est la plus récente sur le marché. Sa nouveauté apporte à la fois un petit espoir de changement pour certains, puis de la mort pour d’autres, notamment les conservateurs, les religieux, puis certains notables qui risquent de perdre leurs pouvoirs et leurs avantages, qu’ils tirent du système arabo-islamique. Cette identité est, comme la première, plus défensive qu’offensive. Mais cette dernière, contrairement à la première, se lance courageusement dans le combat politique contre un État très puissant sur le plan idéologique.

3- L’identité Berbère devenue amazighe

Cette identité était au départ offensive, notamment à travers les militants de l’académie berbère qui ont fait un travail de sensibilisation remarquable en Kabylie et en France; puis à travers aussi Haroun et ses amis qui sont allés jusqu’à affronter militairement le régime algérien.

Suite à cela, il y a eu l’émergence d’une autre génération plus culturelle que politique, constituée d’hommes et de femmes de culture. Ils étaient à l’origine du printemps berbère, événement qui a anticipé le réveil identitaire dans toute l’Afrique du Nord. Mais cette identité berbère, sauvage et rebelle, au départ, devient petit à petit sous le terme « amazigh », domestique et pacifique. La langue arabe a adopté le mot et l’a hallalisé.
Les défenseurs de cette identité sont, avec l’officialisation de la langue tamazight – pas de l’identité pardi – contraints de faire, de leur côté, allégeance au pouvoir en place, en adoptant les constantes nationales, dont l’identité et la langue arabe et la religion islamique.

Les Kabyles se revendiquant de cette identité, à savoir algérienne et amazighe, vivent surtout dans les villes. Ils le disent fièrement en arabe, dans les médias, mais sans oublier de préciser dans les notes de bas de page leur appartenance à la Ouma islamia.

4- L’identité kabyle traditionnelle

Elle est la plus répandue en Kabylie, même au-delà, dans les villes et la diaspora. Elle est la plus partagée et la plus nombreuse. Ses adeptes constituent la grande majorité, politiquement silencieuse mais folkloriquement bruyante. C’est l’identité affichée par les médias. Elle est à la fois têtue et fragile. Les Kabyles qui l’arborent sont généralement apolitiques et de culture orale. Ils se croient officiellement Arabes et Musulmans – grâce à la religion et à la guerre d’Algérie-, mais ils essayent d’être Kabyles, par nnif, dans un monde arabo-islamique : ils se permettent même de parler en kabyle à Alger et ailleurs dans les villes arabes.

Les Kabyles traditionnels sont très nombreux. Chaque mouvement politique et chaque religion y trouve son compte : ils sont musulmans pendant le ramadan; Athée dans la taverne; Arabes devant le douanier; Berbères le 20 avril; Kabyles pendant Yennayer; Africains et Maghrébins pendant la coupe du monde; prolétaires pendant les grèves; Chrétiens à Noël, Algériens contre le Maroc et la France…

L’identité traditionnelle est la plus puissante, mais elle est aussi la plus faible idéologiquement. Elle est manipulable à souhait. Elle n’aspire à rien de particulier. Elle attend, sur la marge de l’histoire, de s’offrir au plus puissant. Elle ne veut rien choisir, elle laisse les événements choisir pour elle. Son crédo : « ddu akken ddan waman/accompagne le courant d’eau. », tels les poissons morts. Pour le moment, elle est acquise à la rue algéro-arabo-islamique, même si elle tente de nous prouver désespéramment et timidement sa Kabylité.

Cela dit, l’identité arabe algérienne fonctionne de la même façon que l’identité kabyle traditionnelle. Elle a juste la chance d’appartenir à son milieu historique, voire naturel. Ce n’est pas le cas de l’identité kabyle.

Romain Caesar, Écrivain