C’était le 22 juin 2004, quatre jours après le lâche assassinat de Meziane Mhenni à Paris. Nous étions à l’aéroport de Bougie{vgayet} à attendre sa dépouille. J’étais en compagnie de quelques amis militants dont Ahmed Ait Bachir, Hemmu Boumedine, Ben Salem Achour et Sofiane Adjlane. La tristesse se lisait sur tous les visages, la nouvelle de l’assassinat nous avait bouleversés.
Nous étions dans le hall des arrivées, quand soudain apparut Ferhat Mhenni, la mine blême, abattu mais qui continuait d’avancer vers nous. Je lui ai présenté mes condoléances, il m’a pris dans ses bras et il m’a dit cette phrase que je n’oublierai jamais : « Tu es mon fils, Salim. » J’avais les larmes aux yeux mais je ne voulais rien laisser paraître. Nous nous sommes dirigés vers la voiture d’Ahmed Ait Bachir, j’étais assis à l’arrière avec Ferhat.
En cours de route, il a pris une feuille et un stylo puis s’est mis à écrire et à traduire le texte de la chanson « Bella Ciao » en kabyle, cette chanson que son défunt fils Meziane lui avait suggéré de traduire et de chanter. En arrivant à « Merghna », son village natal, il avait plié sa feuille pour la mettre dans sa poche, il avait terminé de traduire la chanson.
La dépouille a été exposée dans la cour du village. Nous avons veillé, moi et quelques amis. J’étais avec Omar Lalmas, le seul qui a pu tenir jusqu’à l’aube et là encore, j’ai vu une scène que je n’oublierai jamais. La mère de Meziane venait de se réveiller. Elle sortit de chez elle, s’accroupit près du cercueil et commença à lui parler comme s’il était vivant : « Bonjour mon fils, pourquoi tu ne me réponds pas mon fils, … » Elle était dans un état second la pauvre ; Meziane était son fils aîné qu’elle aimait et chérissait tant.
Aux environs de midi, nous avons pris le cercueil couvert du drapeau berbère pour accompagner Meziane à sa dernière demeure. Au cimetière du village, Ferhat, dans un courage qu’on lui connaît, sortit la feuille de sa poche et se mit à chanter « Bella Ciao » en kabyle. Tout le monde était en larmes, c’était une scène d’une émotion extraordinaire, je n’ai pas vécu pareil moment de toute ma vie, j’ai pleuré comme je n’ai jamais pleuré auparavant. Ferhat, quant à lui, continua à chanter jusqu’à la fin. Ce jour-là, je me suis rendu compte de la grandeur de cet homme, qui a tout vu mais qui est resté debout.
L’assassinat de Meziane était un avertissement pour nous intimider et nous effrayer. Quelques jours plus tard, nous avons organisé la première université du MAK à Azeffoun en hommage à Meziane, mais aussi pour signifier notre détermination à aller de l’avant.
Salim Chait