Mohya est bel et bien le plus célèbre des inconnus. Ses œuvres sont partout, sa contribution à la culture kabyle est incontestable, toutefois, il a toujours agit dans les coulisses, loin des caméras et des projecteurs. Dramaturge mais également parolier, il demeure, pour beaucoup, un inconnu, et ce même si ses chansons sont appréciées par un large public. Dans cet article, nous revenons sur 10 chansons très populaires dont les paroles ont été écrites par Muḥya.
1- « Berzidan » de Ferhat Imaziɣen Imula
« Berzidan » est une célèbre chanson de Ferhat Imaziɣen Imula. Elle est sortie en 1981 dans l’album « Chants Berbères de Lutte et d’Espoirs ». Dans ce texte ironique, Muḥya, fait l’éloge d’un président totalitaire qui use du pouvoir militaire pour exécuter ses projets. En effet, le poète vante les vertus d’un chef d’État dont l’accession au pouvoir ne relève ni de près ni de loin de la démocratie. Plus tard, le Mohya décrit comment ce personnage politique sans valeur finira par être apprécié par le misérable peuple qui a perdu espoir en tout. Les noms de Ait Ahmed et Boudhiaf y sont évoqués par ailleurs comme des personnages interdits de rentrer au pays tant que ce président est en place.
2- « Arrac-nneɣ » de Idir
« Arrac-nneɣ » est une des chefs d’œuvre de Idir mais aussi puissante par le verbe de Mohya. Dans cette chanson, sortie dans l’album « Ay arrac-nneɣ » en 1979, le poète rassure la jeunesse que les ainés seront toujours là pour eux, mais il les appelle aussi à porter le flambeau du combat à travers les générations. C’est avec la douce voix paternelle d’Idir, que ce sublime message repose dans les esprits et les cœurs des enfants de Kabylie.
3- « Winn iheddṛen fell-i » de Takfarinas
« Winn iheddṛen fell-i » paru en 1985 dans l’album « Serreḥ i waqcic » de Takfarinas est bien écrite par Mohya. Dans celle-ci l’auteur revient sur le phénomène qui consiste à faire l’éloge des qualités et vertus d’une personne après sa mort. En effet, pour Muḥya, il faut reconnaitre la valeur d’une personne de son vivant. Takfarinas chante cette chanson dans une très bonne ambiance en s’adressant à la deuxième personne du singulier, demandant à ce qu’on le reconnaisse de son vivant. Ce thème revient assez souvent dans la chanson kabyle, comme c’est le cas dans la chanson « Di Lmut-ik » de Zedek Mouloud.
4- « Slam fell-awen » de Ferḥat Imaziɣen Imula
Dans ce poème, chanté par Ferhat Imaziɣen Imula, en 1981 dans l’album « Chants Berbères de Lute et d’Espoirs », Muḥya s’adresse aux détenteurs du pouvoir et des capitaux. Il rappelle en effet leurs exactions après l’indépendance et la guerre des sables, pour enfin se servir de la religion pour maintenir les petites gens dans l’ignorance et l’obscurantisme.
Dans un style ironique et sarcastique, il décrit, dans un premier temps, les manigances machiavéliques des frères musulmans qui prennent le contrôle de l’espace public avec leur loi religieuse, puis dans un second, l’appropriation des richesses par une élite bourgeoise. Au final, seul le peuple souffre et continue à vivre dans une misère sans lueur d’espoir, d’autant plus qu’on tente de l’amadouer à travers les médias et le sport.
5- « Aḍellaɛ » de Malika Domrane
« Aḍellaɛ » est le tout premier titre de l’album « Ajeǧǧig » de Malika Domrane, paru en 1997. Les paroles ont été écrites par Muḥya pour Malika afin de l’encourager et la soutenir pour ses débuts sur la scène artistique Kabyle. Dans cette chanson, Muḥya décrit les personnes inutiles, comme les dirigeants politiques et les intégristes, comme des couffins sans base dont les bretelles ne serviraient plus à rien. Dans un style disco, la diva Malika Domrane chante cette métaphore venant d’un célèbre proverbe kabyle « i uḍellaɛi wumi yekkes lqaɛ, d acu ara s-d-gen iffassen » et qui revient dans le refrain de la chanson.
6- « Saḥa di yemma-tsen » de Slimane Chabi
« Saḥa di yemma-tsen », chanté par Sliman Cabi {Slimane Chabi} et dont les paroles sont écrites par Muḥya, est elle-même une adaptation de son poème « Inɛal waldin n yema-tsen ». Dans cette chanson, Muḥya maudit les opportunistes, les manipulateurs et les gens malhonnêtes qui ont réussi dans leurs manigances.
7- « Ayen riɣ » du groupe Imaziɣen Imula
Intitulé « Ayen bɣiɣ », à l’origine, ce texte est rendu public pour la première fois lors d’une excursion d’étudiants. En effet, Mouloud Mammeri lui-même avait félicité le poète Muḥya pour la force du verbe employée dans cette œuvre qui décrit la perdition d’un jeune-homme qui cherche ce qu’il veut réellement. Il se demande ce qui lui manque, ce qu’il doit chercher, et se rend compte par la suite qu’il ne lui sera pas toujours possible de l’obtenir.
Le poète veut en effet la liberté dans un premier temps. Une liberté inconditionnelle qui lui permettrait de faire tout ce qu’il désirait. Mais plus tard, il veut la vérité. Chose que son entourage craint de tout temps. Le poème est chanté, sous le titre « Ayen riɣ », par le groupe Imaziɣen Imula et est paru en 1979 dans l’album « Imesdurar ».
8- « Muḥ n Muḥ » du groupe Djurdjura
La chanson « Muḥ n Muḥ » est, en premier lieu, une adaptation de la chanson « Pauvre Martin » de l’auteur compositeur français, George Brassens, sortie en 1953. En effet, « Pauvre Martin » devient «Muḥ n Muḥ », qui est un salarié ou un petit propriétaire agricole en situation précaire et qui travaille sans cesse, sans se plaindre, pour en tirer que le minimum vital.
La chanson a été magnifiquement chantée par le groupe Djurdjura. Triste et mélancolique, le chant lyrique des femmes du groupe Djurdjura enchante les cœurs et berce l’âme. « Muh n Muh » est sortie en 1980 dans l’album « Assirem ». Un autre poème écrit par Muḥya traitant du même thème existe en aussi en cassette.
9- « Berwagiya » d’Ali Ideflawen
« Berwagiya » est une chanson très connue d’Ali Ideflawen. Le texte, étant écrit par Muḥya, rend hommage aux prisonniers du printemps berbère qui croupissait dans la prison de Berrouaghia, située à Médéa en Algérie.
La chanson étant destinée, au départ, à Ferhat Mehenni, ce dernier la proposera à son ami Ali Ideflawen après avoir décidé d’arrêter de chanter et s’engager dans une carrière politique au sein du RCD. « Berwagiya » sortira alors en 1991 dans l’album « Berwagiya ».
« Ay ixf-iw rfed asefru » ou encore « Sselṭan n Mejbada » ont également été écrites par Mohya.
10- « Amezzeṛti » de Ferhat Imazighen Imula
La chanson « Amezzeṛti » est une adaptation de Mohya de la chanson « Le déserteur » de Boris Vian, écrite en 1954. La chanson est présentée comme une lettre au président, d’un homme appelé à la guerre et qui refuse de prendre les armes et de participer à une tuerie inutile. Celui-ci avance d’ailleurs plusieurs arguments dont la perte de proches et le meurtre de pauvres innocents. La chanson adaptée a été chantée par le groupe Imazighen Imula et a paru en 1981 dans l’album « Chants berbères de lutte et d’espoir ».
Bonus – « Werǧeǧǧi » de Sadek Yousfi
Le 17 septembre 2020, un jeune chanteur, Sadek Yousfi, rend public une chanson dans laquelle il reprend un poème de Mohya. Une véritable prouesse accompagnée d’un clip sensationnel, dans lequel il fait un clin d’œil au dramaturge Kabyle.
Au décès de Mohya en 2004, Sadek Yousfi n’avait que 12 ans. 16 ans plus tard celui-ci est allé déterrer un « poème » de ce pilier de la culture Kabyle pour le chanter. N’est ce pas là une preuve de l’éternité de Mohya?