Romain répond — L’identité Kabyle a-t-elle évolué à travers les époques ?

Romain irra-as - Tamagit Taqbaylit ma tegma akked talliyin?

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L’identité est toujours à redéfinir, chaque génération a la sienne propre. Elle change et évolue plus vite que nous le croyons. L’identité kabyle d’avant guerre est complètement différente de celle après-guerre. L’identité kabyle d’avant guerre avait un fond syncrétique que nos ancêtres appelaient islamique pour éviter sûrement d’avoir des problèmes avec le reste du monde islamique.

Des manifestations visibles et celles invisibles de nos ancêtres

Mais le mode de vie de nos ancêtres, lié à l’agriculture, était plus païen qu’islamique. La vie champêtre est exclusivement païenne. Le Kabyle d’avant guerre pratiquait le ramadan, la circoncision, accompagnait le mort avec des versets coraniques, prenait la parole dans les assemblée au nom d’Allah et son prophète, célébrait la fête du mouton, et parfois il allait même à la Mecque. Toutes ces pratiques sont des manifestations visibles, voire physiques qu’ils ont adoptées depuis l’arrivée de l’islam afin de tromper l’ennemi et d’échapper à l’impôt.

Mais leur âme qui n’était pas autant exposée que leur corps, notamment aux remontrances et aux représailles des religieux locaux qui les surveillaient et jugeaient, prêchait d’autres valeurs. L’âme Kabyle était un concentré des restes de Paganisme, d’Animisme, de Judaïsme et de Christianisme. Beaucoup de pratiques illustrent jusqu’à nos jours ces différentes croyances. Notamment le Christianisme : le Kabyle attend le sauveur : Asmi ara d-yekker wergaz / Le jour où viendra l’Homme; il confesse le pardon; il aime se sacrifier pour les autres; il pratique la culpabilité… Même quand il n’est pas religieux, son cœur tend vers les valeurs chrétiennes : justice sociale, droits de l’homme, l’amour, la liberté et la fraternité, etc. Toutes ces valeurs, si vous avez remarqué, sont des valeurs cachées : elles ne dépendent pas du corps. Le Kabyle est de nature païenne, d’âme chrétienne et de corps musulman. Il ne suffit pas d’écraser un peuple pour lui faire changer de religion : on peut soumettre son corps, mais son âme se tient très loin de la pointe de l’épée.

Nos parents ont vécu tout cela dans un certain équilibre, car l’identité de base, la païenne, était si forte qu’elle a réussi à phagocyter toutes les autres croyances, même s’ils (nos parents) se disaient islamiques.

Le nationalisme algérien a bouleversé l’écosystème

Le mouvement national algérien et la guerre d’Algérie ont bouleversé cet écosystème, comme dirait un ami. Elle (la guerre) a imposé aux Kabyles une autre identité : l’identité algérienne, arabe et musulmane. La guerre, pour nos parents, était bien une guerre religieuse. Le but était de chasser les Chrétiens des terres d’Islam. Cette nouvelle identité officielle, armée et belliqueuse, a rendu l’identité kabyle d’avant-guerre caduque, voire dangereuse pour la toute jeune nation algérienne.

Les Kabyles ont continué, après la guerre, à parler kabyle, mais uniquement dans leurs villes et villages. Dès qu’ils quittent la Kabylie, ils se mettent à l’arabe car c’était la langue du peuple algérien, du Coran, du paradis et de la guerre. Une vérité absolue sortie toute chaude des fusils de nos illustres combattants et écrite sur le marbre avec le sang de nos martyrs.

La suite, vous la connaissez, c’est l’émergence du combat linguistique et identitaire. Des intellectuels de gauche pour la plupart ont tenté de réconcilier l’Algérie avec son ancienne identité, en l’occurrence l’identité berbère. Une autre nouvelle identité qui s’invite en Kabylie et qui, loin de faire reculer l’identité arabo-islamique qui est l’essence même de l’identité algérienne, a fragilisé davantage le peu de paganisme qui maintenait encore en vie l’identité de nos parents.

L’école, la mosquée, les monuments aux morts et les partis politiques ont fait et continue de faire le reste. Entre l’école qui arabise, la mosquée qui islamise, les monuments aux morts qui algérianisent et les partis politiques « d’opposition » qui culpabilisent, le pauvre kabyle se retrouve cerné, dans son village, son dernier carré, par ces quatre vipères lancées, cette fois-ci pour de vrai, des hélicoptères par les militaires algériens.

Romain Caesar, Écrivain

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