Interview — Ferhat Mehenni : « la France ouvre enfin les yeux sur le droit de la Kabylie à être un pays souverain »

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A l’occasion du 10e anniversaire de la mise sur pied du Gouvernement Provisoire Kabyle, plus communément appelé Anavad, nous avons contacté le Président Ferhat Mehenni pour une interview.

Nous l’avons interrogé sur le Gouvernement kabyle établi en exil mais également sur l’actualité, le Hirak et les dernières tensions entre la France et l’Algérie.

Vava innova : L’Anavad a été créé il y a dix ans, le 1er juin 2010. Quel est son rôle ?

Ferhat Mehenni : L’Anavad est l’une des réalisations les plus utiles et un des acquis fondamentaux du peuple kabyle pour recouvrer sa liberté et son indépendance. Le rôle de l’Anavad est de doter la Kabylie d’une autorité respectée à l’intérieur et reconnue à l’extérieur.

Ce double objectif est concrétisé au moins à minima. La Kabylie respecte l’Anavad et adhère à ses directives. Elle a répondu à ses appels au boycott des présidentielles algériennes et des mascarades référendaires coloniales. Elle répond aux appels à des actions démocratiques ou d’auto-confinement …
Elle s’est saisie de la carte d’identité kabyle et ressent fierté et honneur devant l’Anay Aqvayli.

Au plan externe, l’Anavad a donné à la Kabylie et au droit du peuple kabyle à l’autodétermination une visibilité appréciable. Le Mémorandum déposé à l’ONU est un acte majeur qu’aucune chancellerie digne de ce nom n’ignore de nos jours. La diplomatie kabyle est une réalité, loin des stéréotypes de celle de l’Algérie qui opprime le peuple kabyle. L’Anavad a été reçu à maintes reprises aux parlements européens, américains et israélien… L’Anavad est membre de plusieurs organisations internationales.

Et comment se porte l’Anavad aujourd’hui ?

Il est plus solide que jamais. Toutes les tentatives de déstabilisation internes et externes orchestrées jusqu’ici ont lamentablement échoué. Ceci n’a été possible que grâce aux fortes convictions des militantes et militants du MAK qui, sur le terrain, travaillent avec détermination pour ramener la Kabylie vers elle-même, vers la consolidation de sa volonté d’exister en tant que peuple et en tant que nation sur la scène internationale.

La pandémie du covid 19 ne nous permet pas de faire dans le faste et la démonstration. Symboliquement, nous en rappelons le chemin parcouru, ardu et plein de dangers évités.

Il y en a qui estiment que l’Anavad n’a pas la légitimité de parler au nom des kabyles et de la Kabylie

Nous sommes plus légitimes que le gouvernement algérien. Nous avons la légitimité du droit du peuple kabyle à avoir son propre gouvernement souverain. Dans l’absolu, tous ceux qui tentent de déstabiliser et de délégitimer l’Anavad viennent consciemment ou inconsciemment à prêter main forte au pouvoir colonial qui voit, rien que dans l’existence-même de l’Anavad sa propre mort, son illégitimité.

Ceux qui nous dénient le droit de parler au nom de la Kabylie accordent ce même droit à ceux qui tirent sur nos enfants, les emprisonnent et les livrent à l’aliénation, la dépersonnalisation, à l’intégrisme salafiste, voire aux poissons de la Méditerranée.

Enfin, tout gouvernement provisoire est autoproclamé, à commencer par le GPRA, d’Ait Ahmed, Ferhat Abbas et Ben Bella…

Quelle est la prochaine étape dans le combat pour l’indépendance de la Kabylie ?

Il y a plusieurs institutions qui sont en train d’être finalisées. Le parlement, l’Anaya, la monnaie, le passeport, l’école, …

Revenons un peu à l’actualité. Est-ce que l’adhésion de beaucoup de Kabyles dans le Hirak algérien a fait évoluer votre vision des choses ? Ils ne semblent pas prôner l’indépendance de la Kabylie…

Les adhésions kabyles aux marches des vendredis sont le fait d’une illusion qui, en tant que telle, est en train d’être abandonnée. Le soutien de la Kabylie au Hirak est un geste certes fraternel mais aussi d’égarement, suicidaire in fine. C’est la remise en cause de l’existence-même des Kabyles que le Hirak essaie d’opérer.

Que pensez-vous des récentes tensions entre l’Algérie et la France ? Le sujet de l’autodétermination de la Kabylie semble y être pour beaucoup

Nous sommes heureux que la France ouvre enfin les yeux sur le droit de la Kabylie à être un pays souverain. Cela va contribuer à apaiser les tensions liées au déni d’existence opposé au peuple kabyle qui, sans nul doute, va participer a travers ses institutions à stabiliser une partie de la rive sud du bassin méditerranéen.

Par ailleurs, nous avons dans 10 jours à célébrer la Journée de la Nation Kabyle, le 14/06.
J’appelle la Kabylie et les Kabyles où qu’ils se trouvent à honorer ce jour-là l’Anay Aqvayli et rende hommage à toutes celles et tous ceux qui avaient consentis des sacrifices pour l’identité, la langue et notre liberté.

Propos recueillis par Muyyud