10 iseggasen ɣef unavad : zṛet inaw amẓunẓu n Ferḥat Mhenni
Voici le discours inaugural de l’installation officielle du Gouvernement Provisoire Kabyle, le 1er juin 2010, prononcé par Farhat Mehenni au Palais des congrès à Paris :
Honorables invités, très chers compatriotes. Le cours de l’histoire de la Kabylie a enfin son aboutissement. Aujourd’hui est un très grand jour pour nous. Toutes les entreprises politiques kabyles depuis 1857 cherchaient inlassablement, dans les ténèbres, la voie vers ce grand jour auquel nous sommes en train de donner naissance, cette lumière que nous sommes en train d’allumer ensemble à travers cette cérémonie officielle d’installation du premier gouvernement kabyle moderne. Même si cela se fait à partir de cette terre de liberté qu’est la France que nous remercions pour son hospitalité, grâce à la force des médias et des nouvelles technologies qui anéantissent magiquement les distances, la Kabylie en est largement éclairée. Oui, le Gouvernement Provisoire Kabyle, plus qu’une lueur d’espoir, est un jour nouveau qui se lève sur le peuple kabyle, sur les villages, les villes et les majestueuses montagnes de la Kabylie.
Réagir sur le forum A cette occasion, permettez-moi d’inviter à ce moment d’émotion, Fadma N Soumer, Cheikh Aheddad et Mokrani, Said Boulifa, Belaid At Ali, Si Moh U Mhand et Cheikh Mohand U Lhusin, Lvacir Amellah, Amar Imache, Ali Laïmeche, Bennaï Ouali, Amar At Hamuda, M’Barek At Mangellat, Abane Ramdane, Amar At Chikh, Amirouche, Abderrahmane Umira, Mouloud Feraoun, Krim Belkacem, Taos Amrouche et sa famille, Ali Mecili, Mouloud Mammeri, Tahar Djaout, Mbarek Mahiout, Rachid Tigziri, Tahar Oussedik, Mahfoud Boucebci, Kamira Nait Sid, Mustapha Bacha, Smail Yefsah, Hamid Mahiout, Muhand U Harun, Matoub Lounes, Bessaoud Mohand Arav et tant d’autres encore dont, par ignorance ou par étourderie, je n’ai pu citer, ici, le nom et devant lesquels je m’excuse.
Permettez-moi d’inviter à cette cérémonie du Jugement de l’Histoire pour leur rendre justice, les victimes kabyles du Printemps Noir, de Guermah Massinissa à Kamel Irchane, ce jeune qui, dans son ultime effort et avant de tomber sous les balles des gendarmes algériens, écrit sur un mur, avec son propre sang le mot « LIBERTE ».
Permettez-moi, enfin à titre personnel, de mettre à mes côtés, mon fils Ameziane assassiné à l’âge de 30 ans, pour me châtier d’avoir osé la liberté du peuple kabyle. Honorables invités, A yessetma A yatma, Nous sommes un peuple qui chérit la liberté depuis la nuit des temps. Tout le long des siècles, nous nous sommes organisés en républiques villageoises, confédérées selon les besoins de l’époque et les vicissitudes de l’Histoire. Tamurt N Yeqvayliyen a de tout temps préféré la liberté de chacun au joug de tous. Ses enfants s’unissent toujours face à l’ennemi, face au malheur et à l’adversité et s’en retournent à leurs libertés individuelles et collectives une fois la menace écartée. Notre attachement à la liberté était et demeure consubstantiel à notre culture qui nous prémunit contre le crime et la délinquance au point de n’avoir jamais jugé nécessaire de bâtir une prison.
Nous les Kabyles, nous sommes un grand peuple. Basé sur la tolérance religieuse et le respect des droits individuels et collectifs, nous n’avons pas connu de guerres de religion et nous sommes les premiers surpris par la fulgurante émergence de l’intolérance islamiste autour de la Kabylie. Nous avons toujours été altruistes et généreux. Au lendemain du 5 juillet 1830, même si nous n’avions jamais reconnu le Dey d’Alger et la Régence Turque, nous n’avions pas hésité à porter secours au voisin algérois pour empêcher le débarquement français à Sidi Ferruch. Le 14 octobre 1839, le Général Schneider, Ministre français de la guerre créa, par décret, l’Algérie. En 1848 celle-ci était partagée en départements dont ne faisait pas encore partie la Kabylie. L’Algérie et la Kabylie avaient bien existé distinctement l’une de l’autre avant 1857. Toutefois, nous considérions et continuons de considérer que notre environnement immédiat fait partie de notre espace de sécurité, de liberté et de prospérité économique.
En 1926, nous avions créé l’Étoile Nord-Africaine pour décoloniser toute l’Afrique du Nord. Pour autant, le Maroc et La Tunisie qui en font naturellement partie n’ont, jusqu’à aujourd’hui, aucune prétention territoriale sur la Kabylie. Le Mouvement indépendantiste algérien était majoritairement kabyle même si son commandement était volontairement confié à Messali Hadj, originaire de Tlemcen. La guerre pour l’indépendance de l’Algérie, reposa pour l’essentiel sur la Kabylie qui en paya le prix le plus fort. La 7e Wilaya, la Fédération de France était animée et financée à plus de 80 % par des Kabyles.
L’épouvantail kabyle
En 1962, l’Algérie accéda à son indépendance et la Kabylie à un nouvel enfer. Niée dans son existence, c’est avec le langage de l’époque, celui des armes, que la Kabylie exprima sa volonté de liberté et d’existence le 29/09/1963. Exténuée déjà par la guerre d’indépendance, pour son malheur, elle dut s’incliner devant les armées des frontières qui n’avaient pas passé leur temps comme elle a affronté les forces militaires coloniales. Depuis sa défaite, la Kabylie est désignée à la vindicte nationale. Pour camoufler sa gabegie, sa dictature, les innombrables violations des droits de l’homme, la rapine et le régionalisme, le régime algérien, de Ben Bella à Bouteflika, a fait de l’épouvantail kabyle, l’élément fédérateur autour de lui. Niés dans notre existence, bafoués dans notre dignité, discriminés sur tous les plans, nous nous sommes vus interdits de notre identité, de notre langue, et de notre culture kabyles, spoliés de nos richesses naturelles, nous sommes, à ce jour, administrés tels des colonisés, voir des étrangers en Algérie.
Qui peut nous dire aujourd’hui combien de Kabyles furent torturés, assassinés et emprisonnés pour délit d’identité ? Qui peut nous révéler combien de cadres furent bloqués dans leur promotion administrative sur la simple considération du lieu de leur naissance ? Combien de brillants officiers dans l’ANP furent envoyés prématurément en retraite pour éviter que les Kabyles ne s’accaparent du pouvoir militaire, le vrai pouvoir en Algérie ? Qui peut nous dire combien de projets économiques et financiers furent détournés de la Kabylie pour les affecter ailleurs ? N’était l’émigration kabyle en France, on mangerait encore des racines comme au temps de la misère. Qui peut nous montrer par les chiffres la pression fiscale exercée sur les commerçants et les entrepreneurs kabyles pendant que les autres en sont épargnés. Combien de bacheliers kabyles jusqu’ici ont été orientés d’office sur des cursus universitaires religieux ou littéraires contraires à leurs vocations et à leurs aspirations modernistes ? Honorables invités, a yessetma, a yatma, Aujourd’hui, si nous en sommes à mettre sur pied notre Gouvernement Provisoire, c’est pour ne plus subir ce que nous endurons d’injustice, de mépris, de domination, de frustrations et de discriminations depuis 1962.
Nous en avons assez d’être un peuple dominé, agressé et blessé dans notre chair et dans notre âme par ceux-là mêmes qui ont récolté le fruit de nos efforts de liberté et de dignité contre le colonialisme. Nous en avons assez de les voir s’ériger en nouveaux colons se comportant envers nous en éternels colonialistes, en ennemis mortels. La violence et la répression systématiques du régime contre les élans de liberté de la vaillante jeunesse kabyle ne peuvent cesser qu’à partir du moment où notre destin sera enfin entre les mains de la Kabylie. En 1992, au début du phénomène islamo-terroriste, la Kabylie en était totalement épargnée. C’était un pays de paix, de tolérance et de respect des croyances de chacun. Curieusement, depuis l’accord signé par le pouvoir avec les islamistes en 1996, elle est devenue le lieu d’investissement militaire des deux camps. C’est à partir de cette année-là que notre terre natale est transformée en cauchemar d’insécurité et de banditisme. Le nombre de barrages militaires sur les routes de la Kabylie est étrangement proportionnel à celui des actes terroristes et à la circulation de la drogue. Ce sont des terroristes islamistes repentis qui sont envoyés comme prêtres dans les villages kabyles ou comme nouveaux résidents chez nous, refusant de parler notre langue ou de respecter notre culture et nos mœurs.
Nos entrepreneurs et leurs proches sont devenues des proies faciles à des ravisseurs qu’il serait naïf de croire qu’ils agissent sans complicité au sein de la hiérarchie sécuritaire, du pays. Les investisseurs en Kabylie sont ainsi poussés à la quitter pour d’autres cieux moins violents. Bref, l’Algérie veut détruire un territoire de liberté pour le livrer à l’obscurantisme et à l’intégrisme islamiste international. L’Algérie veut tuer le droit à la différence, le droit à la transparence politique et économique à laquelle aspire la Kabylie. Le Pouvoir veut livrer la Kabylie à EL Qaeda pour, pense-t-elle, pourfendre plus efficacement le monde occidental, le monde de la liberté.
Nous avons désormais une égide, un avocat, un instrument
Si nous mettons sur pied le GPK, c’est pour que les plaies que nous venons d’énumérer guérissent enfin. D’abord, nous nous devons de prendre notre école en main. Ce n’est pas pour y interdire une quelconque langue, la Kabylie et ses futures générations auront besoin de la maîtrise de toutes les langues du monde. Elle doit pour autant s’occuper avant tout de l’enseignement de la sienne, la langue kabyle. Nous n’avons pas le droit de laisser nos enfants à des charlatans et des fanatiques islamistes qui leur inculquent dans l’école algérienne le désir de la mort, pour les autres ou pour eux, mais nous avons à leur enseigner l’amour de la vie et du prochain. Les sciences et la technologie, conjuguées à l’ouverture des sciences humaines, feront de nos universités déjà bondées des lieux de l’innovation et du développement de l’intelligence humaine au service de notre peuple, de notre environnement humain et de l’humanité toute entière.
Nous ne voulons plus assister chaque été, impuissants, aux feux de forêts que des gendarmes ou des militaires allument volontairement y compris pour ravager nos oliveraies. La sauvegarde de notre environnement et de sa biodiversité est un élément vital pour nous, y compris pour lutter contre l’avancée lointaine du désert. L’économie en Algérie est basée sur l’obligation de partenariat avec la hiérarchie politico-militaire. Si un investisseur n’a plus de « protecteur » il dépose le bilan aussitôt. Nous voulons faire de la Kabylie un lieu de la libre entreprise sans pour autant renoncer aux services publics indispensables à toute société. Le travail et le mérite y seront particulièrement valorisés. Nous ne supportons plus d’aller dans des tribunaux où notre langue est interdite. Nous voulons que les projets financés par des dons étrangers ne nous soient plus interdits par le pouvoir algérien. Dernièrement un don de 500 000 $ pour une opération écologique en Kabylie fut refusé par le gouvernement algérien qui exige qu’il aille à une autre région du pays.
Nous voulons des institutions conformes à nos traditions et à notre culture. Le découpage administratif qui charcute et dépèce petit à petit le territoire kabyle est inacceptable. Honorables invités, permettez-moi de m’adresser à mes chers compatriotes kabyles, a yessetma, a yatma, Notre action est pacifique. Nous aimons la vie et chérissons la liberté. La dignité humaine est au centre de nos préoccupations. Nous respectons toutes les valeurs universelles et la Kabylie en est le cœur en Algérie. Nous installons le GPK pour défendre nos droits en tant que peuple face à l’État algérien qui les bafoue. Nous avons désormais une égide, un avocat, un instrument au service de nos intérêts collectifs et individuels. Je vous invite à faire corps avec lui, à le renforcer et à lui donner de la vigueur. Le GPK est la meilleure création de la Kabylie depuis la nuit des temps. Faisons-en tous notre propriété, il se fera notre défenseur, notre protecteur et incarnera notre dignité et liberté. Faisons en sorte, où que nous soyons, qu’il soit notre fierté. Participons à ses débats et à ses actions politiques, diplomatiques et culturelles. Aidons le GPK, il nous aidera au-delà de nos espérances. Nos bras sont ouverts et nos mains sont tendus vers toutes et tous les Kabyles.
Nous sommes des frères quelles que puissent être nos divergences et nos différences politiques. Cette phase de notre histoire vous interpelle solennellement. Celles ou ceux qui estiment devoir faire de nous des adversaires se trompent de cible, de combat et d’alliés. Le peuple kabyle doit aller de l’avant. Il n’a plus le droit de subir sa propre histoire mais d’en être l’artisan. Nous n’avons plus à revivre, démunis, des printemps sanglants. Nous avons pour devoir d’anticiper et de prévoir les écueils et les épreuves pour protéger nos enfants de la violence armée dont fait usage banal le pouvoir algérien contre eux. Nous avons droit au respect au même titre que tous les peuples de la terre.
Je dois vous avouer une faiblesse. Nous n’avons pas d’argent. Il serait bon que chacun cotise autant qu’il peut pour que le GPK vive et qu’il élève puissamment à travers le monde la voix du peuple kabyle. Je m’adresse aussi au reste des Algériens. Nous sommes frères de tout le monde à commencer par les Algériens dont nous faisons partie. Si nous revendiquons notre identité et nos institutions propres comme ce gouvernement, c’est aussi par respect à vous tous. La différence identitaire n’empêche ni la fraternité ni la solidarité et encore moins la coopération et la sociabilité. Les droits que nous voulons pour nous-mêmes, seront aussi des droits pour vous. Ce que la Kabylie va arracher pour ses enfants pourra vous servir d’exemple en faveur de vos propres enfants. Les droits que nous arrachons pour nous ne vous seront pas enlevés à vous, mais au contraire deviendront un point d’appui pour que vous les ayez un jour. La Kabylie ne vous lâche pas. Elle se donne juste les moyens aujourd’hui qui lui permettront de mieux vous aider demain. Respectez la volonté de la Kabylie vous respecterez un peu plus la vôtre. Honorables invités étrangers.
La Kabylie autonome et le Gouvernement Provisoire Kabyle pourraient devenir l’un des meilleurs facteurs de stabilité de l’Afrique du Nord. Sa reconnaissance au plan international donnera une chance supplémentaire à la paix non seulement dans la région mais également dans le monde. Il n’y aura jamais assez de messagers de la paix pour l’humanité, et la Kabyle aspire à en être un. Nous avons besoin de votre soutien et de votre aide politique et matérielle car nous sommes l’antithèse de la violence et du fanatisme. Si nous voulons émerger sur la scène diplomatique, ce n’est pas sans raison. Les valeurs et la culture kabyles constituent une arme sans commune mesure pour le reflux des idées islamistes et intégristes. Sans aucun moyen autre que nos idées, nous avons empêché le terrorisme international de s’installer chez nous malgré le soutien que lui garantit le régime. Nous ne lui permettons pas d’avancer. Même si le pouvoir algérien le couve et l’entretient sur notre territoire, le peuple kabyle tourne le dos à l’un et à l’autre.
Par ailleurs, nous ne voulons plus qu’au nom du peuple kabyle et dans son dos des alliances secrètes et dangereuses pour la liberté et l’humanité se nouent. Je veux parler de cette alliance tue avec l’Iran, ce pays de Mollahs lancé dans la course à la prolifération nucléaire, menaçant la sécurité internationale et les équilibres des forces stratégiques assurant jusqu’ici une relative paix dans le monde. La liberté de circulation des personnes et des marchandises doit profiter à tous les peuples. Il faut que les ressources naturelles ne soient plus accaparées au service des dictatures et des efforts d’armement pour menacer des voisins plus fragiles.
Honorables invités, a yessetma, a yatma. Avec l’émergence du GPK, il y a début de naissance d’un nouveau monde plus libre et plus paisible. Bientôt d’autres peuples d’Afrique et d’Asie suivront notre exemple que nous tenons pour partie des Kurdes d’Irak. En tant que président du GPK, j’en félicite la Kabylie, l’Algérie, l’Afrique du Nord, le Bassin Méditerranéen, l’Afrique et toute l’humanité.