Romain répond à Amin Zaoui : ces accusations qui dédouanent votre génération

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Réponse de Romain Caesar au « j’accuse » de l’écrivain algérien Amin Zaoui, chronique publiée dans le quotidien Liberté.

Au temps d’Apulée et de Saint Augustin, monsieur Zaoui, tout le monde utilisait le grec et le latin. Les autres langues étaient utilisées juste pour la comptabilité, le commerce et les stèles funéraires. Pour le reste, en Orient, on utilisait le grec et en Occident le latin. Les langues que nous connaissons aujourd’hui ont émergé beaucoup plus tard. Seuls le grec et le latin étaient des langues de civilisation au temps d’Apulée et de Saint Augustin. Toutes les sciences, la philosophie, l’art étaient structurés en grec et en latin.

Nous ne pouvons juger Apulée et Augustin à l’aune des problèmes linguistiques du XXIe siècle. C’est toujours ce fameux ressentiment Berbériste qui revient : c’est la faute à Massinissa d’avoir abandonné Hannibal, c’est la faute à Kahina d’avoir laissé les Arabes conquérir nos terres, c’est la faute à Apulée et Saint Austin d’avoir écrit en latin, c’est la faute à Ben Khaldoun d’avoir écrit en arabe, comme à monsieur Zaoui d’ailleurs, à Kateb, à Mammeri, etc. La liste est très longue.

Ce n’est jamais trop tard pour écrire dans sa langue, monsieur Zaoui, mais pour ce faire, il faut se donner un bon objectif : pourquoi écrire dans sa langue ? Pour qui ? Notre problème est toujours le même. Nous ne pouvons pas le faire car nous ne savons pas encore pourquoi le faire, ni comment le faire. La seule raison qui anime les berbéristes et nos intellectuels est la sauvegarde de la langue, mais pour quoi faire ? Et comme ils n’ont pas de réponse à donner, ils se retournent en arrière pour blâmer les ancêtres.

Je me rappelle de ce petit échange entre un jeune Berbériste et le chanteur Idir, alors qu’on discutait un jour de notre histoire, le jeune homme était parti dans un « j’accuse à la Zola sans fin » en qualifiant les anciens rois berbères de tous les noms : traitres, laxistes, irresponsables… A la fin, Idir lui répond : « N’oublie pas que tu parles des Rois ! »

N’oubliez pas, monsieur Zaoui, que vous parlez des penseurs qui avaient une formation en latin et ils ne pouvaient écrire qu’en latin. On écrit souvent dans la langue de sa culture. La lettre ne fait que suivre la pensée et non l’inverse.

Aujourd’hui il y a une prise de conscience linguistique, et c’est à notre génération que revient la tâche, non pas de sauver nos langues, mais de les réinventer, leur donner de bonnes perspectives littéraires, artistiques, scientifiques et politiques. La langue n’est pas faite pour être sauvée, mais pour être parlée. Nous ne pouvons pas sauver une langue qui se perd, mais la transformer. Mais pour la transformer, on doit d’abord transformer son environnement politique, culturel et civilisationnel.

Monsieur Zaoui, il faut éviter ce genre d’accusations. Ça dédouane votre génération et disculpe ceux qui ne parlent plus ce qui reste de nos langues anciennes. N’accusez surtout pas Apulée et Saint Augustin, car la langue dans laquelle ils ont écrit a elle-même disparu.

Mes amitiés, monsieur Zaoui !

Romain Caesar, Écrivain