Ce jour du 24 juin 1857, une terreur sans pareille s’était emparée des villages. 45.000 soldats parfaitement équipés, venant de 4 directions différentes, étaient lancés contre le dernier bastion de la résistance kabyle, à At Yiraten, prenant en tenailles une population de 8000 âmes préalablement affamées par l’incendie des récoltes, la destruction des figuiers et des oliviers de l’azaghar.
L’embargo imposé à la région de 1855 à 1857 a considérablement affaibli les At Yiraten, de plus éprouvés par le mois du ramadhan qui venait de s’achever. Le coup de grâce a été donné à la population résistante aux premières heures de la journée. A 10h du matin, une délégation de quelques Kabyles en guenilles était venue demander « laman », se soumettre au général qui commandait l’immense colonne.
Il convient de rappeler que les combattants kabyles, pratiquement sans armes de guerre efficaces. La signature de l’armistice s’est déroulée en contrebas du village actuel de Tiɣilt lḥaǧ Ɛli {Tighilt El Hadj Ali}, au-dessus de Tagemmunt n Wedfel{Taguemount Bouadfel}. Les présidents de la Kabylie étaient parmi ces Kabyles déguenillés, nos ancêtres. La présidence de la délégation était collégiale. Il y a donc 8 générations, nos ancêtres venaient de vivre une journée terrible. Un traumatisme dont nous ne sommes jamais complétement remis.
Un jour, des chercheurs curieux, si on en trouve parmi nos jeunes, au lieu de se tirer dans les pattes, de se dénigrer et de cultiver ces sempiternelles histoires d’alphabet, retrouveront les noms des membres de cette délégation qui a signé l’armistice et la reddition. Cette campagne du Djurdjura est très bien documentée. Après 14 expéditions dirigées contre la Kabylie, la 15e, dénommée « Campagne de Kabylie », allait être la bonne pour soumettre cette région encore indépendante. Le maréchal Randon voulait en finir avec cette indépendance insultante pour lui et son gouvernement puisque cette « enclave » se situe à peine 100 km d’Alger, siège du Gouvernorat. Ayant obtenu l’autorisation des mains de l’empereur Napoléon III, il réuni un effectif monstre qui s’élèverait jusqu’à 45 000 hommes entre soldats et supplétifs, encadrés par des officiers les plus chevronnés dans les guerres d’Europe et d’Afrique. Il divisa cet impressionnant nombre en quatre divisions :
- la 1e sous le commandement du général Renault.
- la 2e sous les ordres de Mac Mahon.
- la 3e à sa tête Jusuf. La cavalerie avait été confiée au colonel de Fénelon.
- la 4e , à sa tête le général Maissiat, était stationnée du côté d’Akbou pour prendre en tenaille toute la région insoumise.
La division Mac Mahon se porta sur le plateau d’Abudid, tandis que celle de Renault installe son campement à Ouaïlal, non sans avoir fait des massacres dans tous les villages qui résistaient. Celle de Yusuf entrera dans Icerɛiwen Suq n Larvɛa{Icheriouen souk larbaa}. Les résistants Kabyles se retrouvèrent à Iceṛṛiḍen{Icheriden} pour préparer les moyens de défense et empêcher l’ennemi d’avancer plus loin. Des tranchées en forme de compas sont ouverts vers la direction d’où l’ennemi viendra pour sûr, puisque la position défendue est le verrou qui arrêterait les troupes d’arriver plus en profondeur. Ces mêmes tranchées sont faites en zigzags à la forme d’une crémaillère.
Le 24 juin 1857 au petit matin, donc, un mois après le début de la campagne, Mac Mahon reçut l’ ordre donner l’assaut final. Les résistants, entre Imseblen et Imjouhad, presque à poitrines nues vont faire face à la division Mac Mahon composée de 8 000 hommes armés jusqu’aux dents. Les zouaves étaient lancés en première ligne, soutenus par l’artillerie semant la terreur même au-delà du champ de bataille, dans les villages. Il y eut plusieurs engagement, jusqu’au corps à corps. Le général Bourbaki est tombé de cheval après que sa monture fut touchée à mort ; d’un coup de lame (tavusεadat) d’un combattant kabyle.
Le Commandant de Rebeval fut tué d’une balle entre les yeux au pied du village d’Imɛinsren. En reconnaissance, la France triomphante donnera son nom à la localité de l’actuelle Baghlia qui le portera tout au long de la colonisation. Une rue du 19ème arrondissement de Paris continue toujours de porter son nom, en 2020. Après avoir brisé le verrou des At Yiraten, en ce 24 juin 1857, La Campagne de Kabylie a sonné le glas de l’indépendance du pays kabyle.
Le lendemain, les deux autres divisions, Renault et Jusuf, à leur tour, se remirent en mouvement passant par Irjen (At-Hegg) en direction d’At Yanni qui ont opposé une résistance de quelques jours. Taourirt el Hadjadj furent la dernière citadelle à tomber. Tous les villages qui ont tenté de résister furent détruits, brûlés. Après 14 expéditions dirigées contre la Kabylie, la 15e quinzième, celle de mai-juin-juillet 1857 dénommée Campagne de Kabylie, allait soumettre cette région encore indépendante. Le maréchal Randon en aura fini avec cette indépendance insultante pour lui et son gouvernement puisque cette « enclave » se situe à peine 100 km d’Alger, siège du Gouvernorat.
Titre original : « Le pays et la grande catastrophe du 24 juin 1857. »
(Tamurt, Tuqqiṭ tameqqrant n 24 yunyu 1857)
par Omar Kerdja et Σmer Mezdad
in ayamun n°107, mai 2020.