Le régime algérien ne se suffit pas de l’islam imposé comme religion de l’État dans la constitution, d’un ministère tentaculaire de la Religion, d’un Haut Conseil islamique, de l’arabe comme seule langue officielle de l’État.
Il ravitaille aussi avec nos deniers l’AOMA (l’Association des Oulémas Musulmans Algériens), une milice intellectuelle décervelée qui active ouvertement aujourd’hui à saper les fondements d’une coexistence pacifique et fraternelle des peuples d’Algérie.
À l’image de son fondateur Benbadis, l’association « savante » s’est donné un seul but : l’éradication de l’amazighité de l’Afrique du Nord. Et cet objectif a primé en son sein même lors des préparatifs du Mouvement national pour le lancement de la lutte armée de libération. Parmi ses membres fondateurs, plusieurs ont été récipiendaires de la Légion d’Honneur.
Janvier 2019 – Le président de la commission des Fatwas de l’AOMA, Al-Abidine Ben Hanafia, décrète Yennayer haram, contraire aux préceptes de l’islam et donc fête hérétique.
Juin 1948 – 72 ans auparavant – Bachir Ibrahimi, une des têtes pensantes de cette même association signe un article anti-kabyle d’anthologie. Au moment où il a écrit son article, certains parmi ceux dont il flétrit l’honneur et dont la langue lui « écorche les oreilles » étaient montés au maquis depuis une année déjà.
Avant de lire ce qu’il a écrit, en juin 1948, dans Al-Basaïr, la revue hebdomadaire de l’association, on ne peut pas s’imaginer la noirceur et le cynisme de l’individu. Il dénie aux Kabyles de parler leur langue, de demander sa promotion, de disposer d’un interprète … et les invitent à parler français puisque (selon lui) presque tous parlent cette langue. Autrement dit : « Ilit d ayen tevγam anagar d Iqvayliyen » (Soyez ce que vous voulez sauf des kabyles).
Et donc. Alors que le pays tout entier est écrasé par la misère, la maladie et la faim; Alors que la révolte sourde dans les chaumières; Alors que se tissent clandestinement des réseaux de militants indépendantistes à travers tout le pays; Alors que des intellectuels se mobilisent, informent et multiplient les rencontres pour porter à l’international la justesse de la cause algérienne; Alors qu’en Kabylie des escouades de résistants préparent l’insurrection armée au maquis; Voici que ce Bachir Ibrahimi écrit (extrait de « les Oulémas algériens et la question berbère : un document de 1948 » de Mohand Tilmatine). Regardez le chef-d’œuvre de pamphlet :
« Les Berbères ont appris à travers elle (la langue arabe) ce qu’ils ne savaient point […] Elle imposa son charme à l’âme berbère et la transforma en une âme arabe. »
« L’arabe, libérateur de cette patrie a apporté l’islam et avec lui, la justice, il a introduit la langue arabe et avec elle la science. C’est la justice qui a soumis les Berbères aux Arabes, mais c’est la soumission fraternelle et non celle de la force, c’est une soumission de respect et non de violence criminelle. C’est la science qui a fait dépendre le berbère de l’arabe, mais c’est une dépendance du factice de l’authentique et non celle de l’obéissance de l’esclave à son maître. Grâce à la spiritualité de l’islam et à la beauté de la langue arabe, l’islam est devenu en très peu de temps une caractéristique de la nation, irréversible et ineffaçable et la langue arabe une femme libre, sans concubine, dans cette nation. »
« Quelle est cette voie discordante qui nous écorche les oreilles de temps à autre et qui ne se manifeste que lors des accès de folie coloniale ?
Quelle est cette voix hideuse qui s’est élevée il y a quelques années à la Radio algérienne en diffusant des chansons et des informations en langue kabyle, qui s’est ensuite fait entendre il y a quelques semaines de la salle de l’Assemblée algérienne en exigeant un interprète pour le kabyle comme il y en a pour l’arabe ? »« Est-ce pour demander justice à la langue kabyle, par respect de ses locuteurs, par la reconnaissance de son droit à la vie et de son authenticité dans la nation ? Que non. Il s’agit d’un mensonge politique sur une frange de cette nation, d’une tromperie coloniale sur le dos d’une autre frange, d’une abominable manœuvre de division et d’une profonde moquerie sur le dos des deux parties. »
« Ces deux voix et tout ce qui s’est passé dans le même sens sont le chant du colonialisme qui tente de faire sortir les caravanes du droit chemin pour les conduire vers les déserts toujours plus sombres. Que l’on prenne garde de ne point se laisser charmer. »
« Ces deux airs proviennent du même instrument, mal réglé, et au son discordant. Ils ont un seul sens, celui de réduire au silence une autre voix qui parle et dit la vérité : que ce pays est arabe et qu’il faut que sa langue arabe soit officielle. Ces deux airs détestables sont une tentative de réaction à cette voix mélodieuse, ils sont dirigés contre elle et veulent lui nuire. Que l’on sache que cette nation est un conglomérat de groupes ethniques et d’idiomes, dont aucun ne prédomine. De ce fait, aucune de ces langues ne mérite d’être officielle. »
« Il n’existe pas de Kabyle habitant les villes qui ne connaisse le français. Il n’existe parmi les Kabyles ruraux – largement majoritaires – que très peu qui ne parlent que le kabyle. Mais cette grande majorité ne possède pas un seul appareil radiophonique, car elle est privée de lumière électrique, tout comme elle est privée de la lumière de la science. Et tout cela par la grâce du colonialisme. Que signifie donc cette supercherie à propos des Kabyles et de leur langue ? »
« Il n’existe aucun membre de l’Assemblée algérienne qui ne maîtrise le français, pourquoi dès lors proposer des interprètes pour le kabyle ? Mais nous, nous en avons saisi le sens. La vérité est que la nation est arabe et que les Kabyles sont des musulmans arabes, leur Livre, le Coran, c’est en arabe qu’ils le lisent et ils écrivent en arabe et ne veulent d’alternative ni à leur religion, ni à leur langue. Mais les tyrans ne savent pas. »
Comme un précieux héritage, cette haine se transmet au fils Ahmed Taleb qui, en tant que ministre de la Culture, a fait séquestrer, dans un hôtel d’Alger en 1969, la kabyle Tawes Amruc venue spontanément prendre part au Festival Culturel Panafricain organisé dans « sa patrie indépendante », soit 21 ans après l’éructation du père.
Imperturbable, notre peuple chemine vers sa libération. Imperméable à votre haine, sa détermination se renforce à chacune de vos grippes.
Aksil Azru Loukad, militant de la cause Kabyle et journaliste