Il s’appelle Amayas Bourbia, il est âgé de 27 ans. Chanteur mais surtout producteur, il a eu l’occasion d’accompagner plusieurs jeunes pousses dans leurs projets musicaux. Dans cet entretien, nous l’avons interrogé sur l’industrie de la musique en Kabylie.
Bien qu’il reste optimiste quant à l’avenir de cet art populaire, il a interpellé le grand public et les acteurs du monde de la musique sur leurs rôles essentiels à l’épanouissement de la musique Kabyle.
Vava innova : Qui est Amayas Bourbia?
Amayas Bourbia : Je suis gérant de l’entreprise d’édition et production de produits audiovisuels Gurzil Records et du studio La MuZ de mon ami Jugurtha Boutellis.
J’ai fait des études en géologie à l’UMMTO. Par la suite, j’ai été quelques années en France. J’ai pesé le pour et le contre de cet exil et j’ai fini par décider de rentrer chez moi, avec le grand bagage que l’exil m’a octroyé, souvent brutalement.
C’est à ce moment là que Jugurtha Boutellis m’a contacté pour que je m’occupe avec lui du studio La Muz.
La première chanson que nous avons produite pour la chaîne YouTube du studio La Muz est interprétée par moi-même, mais je n’envisage pas de faire carrière en tant que chanteur. Ma place est à la production. Je préfère travailler à faire aboutir les projets des artistes qui ont de la voix et du talent et qui ont l’ambition de faire carrière dans la musique.
Dans cette chanson, vous portez le nom de Amcic Awṛaɣ. Pourquoi ?
Amcic Awṛaɣ, c’est d’abord un surnom d’enfance, une moquerie pour certains. J’étais frêle et blond. C’est aussi ma façon de casser les codes, de dire que ce n’est pas en portant un costume ou en prenant le nom d’un Grand Roi du passé que l’on a de la valeur ou du talent. Ni même parce qu’on est appelé monsieur, maître ou docteur. Je respecte les gens pour leur impact sur la société, pour la manière dont ils assurent leurs missions, pas pour des titres ou des popularités mal acquises.
Vous avez eu l’occasion d’accueillir plusieurs jeunes talents dans votre studio, afin de les accompagner dans leur projets. Qui sont-ils?
Ce sont, pour la plupart, des étudiants à l’université. Qu’ils soient musiciens ou chanteurs, j’ai remarqué qu’ils se fréquentent entre eux et partagent beaucoup de moment musicaux ensemble. Il y a une véritable “soupe primordiale” dans le paysage artistique Kabyle !
Ceci dit, par manque de moyens, ils se limitent à un enregistrement ou deux par an. Ce qui est navrant car je pense qu’ils ont beaucoup à donner au patrimoine Kabyle et international. En effet, nos jeunes artistes sont très imprégnés des valeurs Kabyles mais aussi des valeurs universelles. Ils se sentent concernés par les défis qui sont les nôtres et par ceux de notre monde. Je les salue tous et les remercie de la confiance qu’ils ont en nous. C’est un énorme plaisir de travailler avec ces artistes.
A-t-on moyen de faire carrière dans la musique Kabyle et de grandir en tant que jeune chanteur kabyle aujourd’hui?
Artistiquement, le potentiel est certainement à son apogée. Les musiciens, les paroliers, les moyens techniques sont à leur meilleur niveau chez nous : Nous ne manquons ni de textes, ni de studios, ni de voix, ni de musiciens, ni d’ingénieurs de son. Cependant il devient très difficile de faire carrière pour deux raisons : Le déroulement des projets musicaux et le public qui ne consomme plus le nouveau.
C’est à dire?
Je pense d’abord qu’il y a un problème de définition des rôles. Le chanteur doit savoir qu’il ne se suffit pas à lui-même, qu’il est un maillon parmi d’autres dans la réussite d’un projet musical. Quand bien même c’est le chanteur qui occupe le devant de la scène, sa carrière est le fruit du travail de nombreux métiers. Je tiens à dire cela, car la popularité peut finir par monter à la tête de quelques jeunes pousses et ils se tirent des balles dans les pieds.
Aussi, les conflits entre les différents acteurs peuvent conduire à la mort des projets avant leur concrétisation. En effet, le producteur peut s’avérer gourmand financièrement, là où le musicien est privé de ses droits, le parolier effacé et les intermédiaires extérieurs au monde de la musique prennent trop de place. C’est un domaine où il faut savoir être patient, composer, respecter les rôles et additionner les énergies pour réussir à faire sortir un produit.
L’autre souci, c’est notre public. Il ne consomme que la musique des grands noms, mais aussi de la musique turque, anglo-saxonne, arabe, française au détriment de notre musique à nous. Je parle notamment des spectacles. Un consommateur Kabyle n’ira pas acheter un billet d’entrée à un spectacle si ce n’est pas un grand nom ou encore de la musique de fête.
Pourtant ce même consommateur répétera constamment qu’il n’y a plus de musique en Kabylie.
Il est très important que le public Kabyle se remette à consommer notre culture, partout où il le peut. Surtout que l’offre me paraît de très haute qualité.
Je crois donc que faire carrière dans la musique Kabyle dépend du professionnalisme des intervenants et de l’investissement du public.
Etes-vous en train de dire que le public Kabyle ne cherche plus à découvrir de nouveaux talents?
C’est tout un mode de consommation qui doit être adopté par le public. Il s’agit d’abord de « rester branché » : les radios, tv, les réseaux sociaux des principales boites de production font la promotion des nouveaux projets. Il s’agit aussi pour le consommateur de chercher à soutenir l’industrie, par l’achat de billets de spectacle, l’achat de CD (moins chers qu’un sandwich comme l’a dit Hamidou), la promotion de notre art musical auprès des non Kabyles, la consommation (gratuite) de la musique sur les plateformes de streaming (ce qui rémunère la production), etc.
Peut-on parler d’industrie de la musique en Kabylie finalement?
Nous nous efforçons de rebâtir cette industrie qui s’est effondrée depuis la fin de ce qu’on appelle “le physique”. C’est à dire la commercialisation des produits sur support physique, les cassettes et les disques. Aujourd’hui la musique ne permet plus de gagner de l’argent. C’est une certitude, mais il y a certains éléments qui pourraient relancer le secteur :
Le spectacle est le meilleur moyen de rentabiliser les efforts et investissements des différents acteurs. Il permet de verser un salaire aux musiciens et aux chanteurs et de faire tourner les productions tout en apportant de la vie culturelle à la société. Les salles existent, les artistes sont prêts, mais l’engagement du public actuellement décourage les investisseurs à monter un spectacle.
Les institutions liées à la culture devraient se moderniser pour s’orienter vers le numérique, les plateformes de diffusion audio et vidéo notamment. Il y a un flou autour de ça. Par ailleurs le public, là aussi, pourrait décider, par solidarité, par engagement, de consommer la musique sur les plateformes qui payent les artistes, plutôt que de télécharger la musique ou de la consommer chez des gens qui l’ont téléchargée. Ce qui est illégal en soi et pas très correct d’un point de vue éthique !
Pour terminer, je veux attirer l’attention sur un fléau qui gangrène notre domaine. Il s’agit de la corruption et de l’escroquerie. Avec d’autres producteurs nous avons constaté à quel point nos artistes peuvent être pressés de se faire dépouiller par des éditeurs et des producteurs véreux (et puissants) plutôt que de se rapprocher des plus honnêtes. Par ailleurs, les artistes eux-mêmes peuvent s’avérer malhonnêtes, notamment ceux qui veulent réussir tout de suite et qui tournent le dos à leurs musiciens, leurs producteurs, leurs paroliers, etc. Il faut s’entourer d’une équipe solide et travailler sur le long terme.
Je crois que pour que l’industrie de la musique Kabyle soit relancée, il faut absolument qu’un climat professionnel, plus sain et de confiance s’installe.
Un dernier mot ?
Je voudrais vous remercier, l’équipe de Vava innova pour votre travail. Je vous suis depuis le début et je constate les nombreux progrès que vous faites et je vous souhaite le succès que vous méritez.
Je voudrais aussi saluer toutes les personnes qui travaillent honnêtement dans le domaine de l’art Kabyle, et rendre hommage à tous ceux qui nous inspirent.
Propos recueillis par Muyyud.