Les conservateurs Kabyles, quand tu leur parles de la disparition de la Kabylie, ils te répondent sans ironie aucune que celle-ci a traversé des siècles et des siècles et elle est toujours-là ; que rien ne pourra atteindre et ébranler ses hautes et solides montagnes…
Bien entendu, les montagnes ne changeront pas, ni la mer, ni les rivières ni les plaines d’ailleurs… elles ont encore des milliards d’années devant elles. La Numidie est géologiquement toujours-là, mais où sont les Numides ? Mare Nostrum est géologiquement toujours-là, mais où sont les Méditerranéens ? L’Olympe grec est géologiquement toujours-là, mais où sont les divinités païennes ? Rome est géologiquement toujours-là, mais où est passé l’Empire ? Azṛu n Thur{Azrou n Thour} est géologiquement toujours-là, mais où est passé Azṛu n Uselgu ? Bien entendu, la Kabylie sera toujours-là, mais dans quel État ? Sous quel nom ? Dans quel monde ?
Évidemment, la question de la disparition de la Kabylie que les progressistes revendiquent ne concerne nullement les conservateurs kabyles. Pour eux la Kabylie ne souffre que de la perte de ses valeurs ancestrales, autrement dit, de sa morale religieuse qu’ils ressuscitent et perpétuent indéfiniment jusqu’au purgatoire.
Ils sont incapables de ressentir le mal qui ronge ceux pour qui la Kabylie n’est pas un lieu où se livrent bataille le Bien et le Mal, mais un espace de vie fragile où se côtoient le sanglier et la chouette, les légendes et la peur, les héros et les monstres, la pluie et le soleil, le berger et le chacal, le serpent et la belette, la neige et le feu, le chardonneret et le merle, le basilic et l’huile d’olive, la figue et la grenade, le rossignol et le coucher de soleil, l’eau et le chant, les génies et les nymphes, la terre et le sang, l’hirondelle et le printemps, la cigale et l’été, le brouillard et la fumée des cheminées, l’abeille et le genêt, le faucon et la perdrix, le coq et l’aurore, l’ombre et le chêne, l’éclair et les cimes, l’écho et le tonnerre, le vent et le roseau, le ciel et les étoiles, le frêne et la vigne, la danse et la flûte, le rêve et l’ivresse, la joie et le rythme, le silence et la nuit, la mort et le voyage, la guerre et le verbe…
En somme, la Kabylie des enfants, des progressistes, des artistes et des rêveurs qui veulent en faire leur paradis sur terre, non une antichambre de l’arrière monde religieux.
Hélas, les conservateurs ne peuvent pas comprendre ce genre de sentiments.