Les kabyles font face à un Etat-nation et non plus à un empire et cela change tout (par Romain Caesar)

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Le Kabyle, habitué à l’organisation horizontale, n’a jamais songé à fonder un État au pouvoir vertical, car il a toujours vécu sous des Empires : empire romain, byzantin, ottoman et français.

Les entités qui constituent les Empires sont très autonomes dans la gestion de leurs affaires. Elles gardent leurs spécificités, leurs mœurs et leurs croyances. L’Empire est si vaste que le pouvoir central ne connait parfois même pas les limites de ses territoires.

Depuis 1962, la réalité historique de la Kabylie a changé. Elle est entrée dans un autre système, celui de l’Etat-Nation. Et l’Etat-Nation n’a rien à voir avec l’Empire. Ce dernier est beaucoup plus ouvert et beaucoup plus souple que l’Etat-Nation. L’Etat-Nation est une entité très étroite et très fermée sur elle-même. Jaloux de sa souveraineté, l’Etat-Nation se montre beaucoup plus violent, notamment vis-à-vis des minorités.

Avant, aucun Empire ne venait déranger le villageois de Kabylie dans son autonomie, c’est pour cette raison que chaque village possédait son assemblée et ses propres lois. Cela ne dérangeait aucunement les Empires et les Kabyles n’avaient jamais senti le besoin de s’unir pour fonder un État.

En revanche, l’Etat-Nation, étant moins vaste et plus fragile qu’un Empire, surveille de près ses populations et son objectif est leur union sous la même langue, culture et religion. Sous les Empires, chaque région avait le droit de pratiquer sa langue, ses croyances et ses mythes. L’État-Nation, quant à lui, n’accepte aucun autre mythe que celui duquel il tire son pouvoir et sa légitimité.

Voilà pourquoi, aujourd’hui, l’État algérien refuse de reconnaître les spécificités régionales. Il a peur de se disloquer, car les régions sont différentes et l’État algérien n’a pas les moyens de fédérer les differences.

Le problème des Kabyles, aujourd’hui, c’est qu’ils continuent de pratiquer un certains pluralisme (de façade pardi) comme sous les Empires suscités. Ils veulent vivre leurs différences comme ils les ont toujours vécues dans les anciens temps, ils veulent continuer à bénéficier de leur autonomie de jadis ainsi que de leur organisation horizontale.

Sous les Empires, en Kabylie, les Kabyles n’avaient jamais eu affaire au pouvoir central, mais à l’autorité de chez eux. Autorité du village, puis de laarch. Avec l’Etat algérien, ils sont face à un pouvoir, qui, contrairement aux Empires dont les capitales étaient très loin, celle de l’État-Nation algérien est toute proche. Le souci des Empires étaient les territoires qui leur restaient à conquérir, celui des États est les petits villages intérieurs qui leur restent à dompter et à soumettre.

Les Kabyles doivent, aujourd’hui, repenser complètement le contexte de leur lutte. On ne peut vivre sous un État-Nation comme sous un Empire. Et pour accéder à un État souverain, ils doivent renoncer au pouvoir horizontal qu’ils avaient connu sous les Empires et accepter les principes de l’Etat-Nation, c’est-à-dire reconnaitre le pouvoir de Un des leurs.

A la renaissance, ou si vous voulez, à la fin des Empires, il y a eu la naissance des États souverains en Europe. Et « la souveraineté, comme dirait Monique Chemillier-Gendreau, porte en elle même la détention du pouvoir. »

L’organisation horizontale a fait son temps, elle était possible sous les Empires, mais elle n’a aucune chance d’aboutir au sein d’un Etat-Nation, surtout si celui-ci est de nature jacobine.

Romain Caesar, écrivain