Le seul rapport de force est en Kabylie et autour de Taqvaylit (par Allas Di Tlelli)

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La conjoncture présente est trouble à plus d’un titre.

La scène internationale est à nouveau focalisée sur le Haut-Karabagh, arménien et chrétien, qui aspire à son indépendance et que se disputent l’Azerbaïdjan musulman et l’Arménie qui porte également en son sein, le Nakhitchevan, un territoire arménien occupé par le même voisin dont l’attitude guerrière semble être attisée par l’islamiste turque, Recep Tayyip Erdoğan, qui vient de s’y immiscer publiquement.

Sur la scène algérienne, la course n’est plus à qui apparaîtra le plus acquis aux valeurs d’une démocratie authentique, mais à qui rendra celle-ci vide de sens et plus hybride dans le sens d’un nationalisme arabe exacerbé et d’une surenchère religieuse qui ne s’encombre même plus de scrupules. C’était bien le cas depuis les années trente, ça l’est davantage depuis 1962 et la parenthèse de la grande agitation de 2019 a poussé cette enlisement extrêmement périlleux dans l’arabo-islamisme, dans des proportions alarmantes. Cette tendance est désormais la norme et non l’exception. Si de par le passé, la Kabylie, et une certaine élite algérienne, ont pu constituer une sorte de rempart contre cet obscurantisme politique, social et culturel, nous sommes arrivés aujourd’hui sur la ligne de crête où le rempart n’existe plus ; l’école, la mosquée et la désinformation ayant eu suffisamment de temps pour torpiller les dernières résistances et les digues identitaires, républicaines et laïques, notamment en Kabylie.

L’ignoble assassinat de la jeune Chaïma, violée, égorgée et brûlée le 1er octobre dernier, et les réactions plus que mitigées des Algériens qui, au mieux, souhaitent à la victime d’être pardonnée dans l’au-delà pour avoir vécu sans voile, au pire, justifient sans détours le crime qui, selon beaucoup dont un professeur en pédiatrie et Président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et du développement de la recherche, serait la conséquence naturel du non voilement de la jeune fille, accablant dans la foulée les parents « de ne pas avoir bien éduqué » leur fille pour éviter un tel drame… C’est ce peuple-là qui aurait, semble-t-il, prodigué des leçons de lutte à la planète, c’est ce peuple-ci qualifié de « Chaɛb el adhim » par les populistes de 2019 et qui a inspiré le fameux « Miracle algérien » à un incorrigible looser, c’est ce même peuple qui est censé changer le système en place et voter pour une « Algérie nouvelle » qui n’est, au final, que le cheval de Troie de la décadence.

L’acharnement contre la Kabylie monte en puissance. Imechdalen et Aqvu traduisent en ce moment cette réalité avec ces deux modes opératoires. Certains y voient un lien avec le prochain non événement du 1er novembre, d’autre l’inscrivent dans la politique raciste de toujours. Dans tous les cas de figure, la violence est politique, les victimes sont kabyles et chaque jour plus nombreuses. Quelles que soient leurs orientations politiques, souffre-douleurs elles le sont parce que kabyles et ignorées indifféremment par les tenants de l’indignation sélective. La presse, les médias, les politiques et les organisations algériennes des droits de l’homme regardent ailleurs. Le deal entre le régime algérien et ses opposants faits maison, porte un nom : casser l’ennemie commun qui l’indépendantisme kabyle. Nous avons été quelques-uns à le dire dès le 22 février 2019, qu’il me soit permis de le réaffirmer aujourd’hui : Le système n’est pas seulement au pouvoir, il est dans chaque crâne algérien et c’est pourquoi, si alternance il y a en Algérie, elle ne sera qu’une partie de pile ou face de la même pièce. Autrement dit, ça sera le choix entre la tétrodotoxine et le cyanure.

Pendant ce temps, une digue tient encore en Kabylie et elle a pour nom, l’indépendantisme. Ses militants sont sur le terrain d’une lutte permanente, pacifique et sans dividendes, depuis bientôt une vingtaine d’années ; une période marquées par une répression aussi ininterrompue que belliciste et un black-out médiatique généralisé. Le passage à tabac, les atteintes à l’intégrité morale, le terrorisme économique, les injures racialistes, les blessures physiques, la férocité policière de masse, notamment contre la marche du 20 avril 2014, l’embastillement… ont émaillé la vie du militant indépendantiste depuis 2001. Depuis 2019, il subit le tir croisé du pouvoir, des islamistes et des ultra-nationalistes algériens de Kabylie. Ces derniers, aveuglés par leurs ambitions ou réellement dé-kabylisés et donc, dé-républicanisés, s’embourbent-ils dans leurs propres extravagances pour ne pas se rendre compte jusqu’au fait de n’avoir réussi qu’un seul et unique exploit, celui d’être rejetés, pour des raisons différences, et par les Algériens et par les Kabyles.

Dans ce moment d’incertitude, il y a eu le rassemblement du 5 octobre et il y aura celui de demain à Aqvu, en Kabylie centrale. Il est question de dire halte à l’harcèlement policier et judiciaire contre des militants pacifiques, de dénoncer les indignés sectaires et de réinventer l’aɛnaya, cette valeur cardinale de la société kabyle. Au-delà des choix politiques, tout citoyen kabyle a le devoir de rallier la ville d’Aqvu ce 07 octobre 2020. Le seul rapport de force qui vaille, celui qui se joue et qui doit être massivement investi, est en Kabylie et autour de Taqvaylit. De lui dépendra jusqu’au sort de l’Algérien lui-même et du nord-africain.

J’apporte ma solidarité inconditionnelle à tous les militants concernés par cette nouvelle cabale judiciaire qui ne peut être que colonialiste.

Allas Di Tlelli, Écrivain