Le Kabyle ignore que son passé antique n’a rien à voir avec la période islamique d’El Djahiliya (Par Romain Caesar)

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Ce qui nous fait très mal à nous, les Kabyles, c’est l’adoption du temps islamique. Qui de nous n’a pas entendu ses parents parler de « Lqern Rbaɛṭac/14ème siècle ». Le 14ème siècle musulman pardi. Même les poètes le chantent, jusqu’à nos jours. Un siècle qui n’est lié ni à la science, ni à l’art, ni… C’est un siècle exclusivement islamique dont les Kabyles ont peur car il annonce la fin de la morale religieuse.

Nos parents appelaient, comme tous les Musulmans, leurs ancêtres païens et chrétiens « les djouhala/les ignorants« . Et « edjahiliya » est ce temps pré-islamique vécu au Moyen-Orient, spécialement chez les Arabes. Les Kabyles, l’ignorance de l’histoire aidant, s’inscrivent naïvement et passivement dans cette période. Une période, du reste, que leurs ancêtres n’ont jamais vécue, car ils appartenaient à un autre espace-temps, celui de l’antiquité méditerranéenne qui a connu des penseurs, des écrivains, des dramaturges et des grands théologiens, notamment chrétiens. Le 4ème siècle était considéré comme l’âge d’or culturel de l’Afrique du Nord, dans lequel celle-ci était devenue l’un des centres du savoir de l’empire.

Le Kabyle ignore que son passé antique n’a rien à voir avec le temps islamique. Il a appris que ses ancêtres qu’il surnomme « l3ibad n zik/les gens d’avant », c’est-à-dire d’avant l’islam, étaient des djouhala/des ignorants. Un mot qui porte en lui-même le passé pré-islamique et qui nous donne une image peu flatteuse de ceux qui l’ont vécu.

Pour illustrer mon propos, voici une petite histoire vécue dans un village kabyle durant les années 70 : un vieux dit un jour dans la mosquée du village à son imam que son fils, qui était à l’époque étudiant à Alger, lui a dit que leur grand ancêtre s’appelle Massinissa. Le vieux était si fier de son fils qu’il répéta ses paroles avec beaucoup de fierté. L’imam, contrarié par la dérive berbériste du fils, dit au père : « Je crois que ton fils a oublié de te dire que ton grand ancêtre est un djahel qui n’a pas connu l’islam. » – Le vieux, furieux, dit à son fils, à son retour de la mosquée : « Ne me parles plus jamais des tes ancêtres djouhala !« 

Réhabiliter l’antiquité et sortir d’El Djahiliya est le seul moyen qui nous reste, à nous Kabyles, de quitter définitivement le temps islamique et de nous inscrire à nouveau dans le temps universel. Sinon nous demeurerons à jamais les prisonniers d’un temps qui ne sert absolument à rien.

La chronologie islamique nous a coupé de notre histoire antique; de la civilisation numide, grecque et romaine; des croyances anciennes; des savoir-faire anciens; elle nous a même perturbé dans notre gestion de l’espace. Sortir du temps historique mène automatiquement à la méconnaissance de son espace géographique. Nous l’avons fait et nous avons tout perdu, jusqu’à la légitimité du territoire. L’islam a imposé sa chronologie, et notre terre est devenue Terre d’Allah.

Il faut revisiter l’antiquité méditerranéenne. Retrouver le temps initial, celui de l’Afrique du Nord, le temps qui échappe à l’Islam, au mythe des orientalistes français du Maghreb arabe, échapper à ce temps kabyle spécifique qu’on appelle « Zman » sans contours et tributaire non des dates historiques mais de mémoire humaine sujette à l’alzheimer, échapper au 14ème siècle arabe décadent annoncé par nos poètes… Revisiter l’antiquité, se reconcilier avec le temps universel, afin de pouvoir le matérialiser et vivre enfin en harmonie avec les humains du 21ème siècle.

Romain Caesar, Écrivain

NB : c’est en étudiant tous ces aspects que nous nous rendons compte que la religion n’est pas si innocente que ça, même quand nous voyons nos parents prier avec beaucoup de piété et d’innocence, car malheureusement la religion islamique n’a pas les mêmes bons sentiments envers eux qu’ils en ont pour elle. Elle est en grande partie responsable de nos errances et de nos approximations. Le monothéisme n’a jamais éclairé les païens que nous étions. Il n’a fait que nous perturber dans nos croyances, dans nos rêves appoliniens et nos ivresses dionysiaques.

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