Le mouvement narratif faisant boucle, la narration dans le texte de Zimu est un long retour en arrière racontant l’enchevêtrement d’histoires imbriquées d’une dans l’autre. Et comme tel, il est, du point de vue de sa forme, une petite prouesse narratologique, dont le lecteur prendra certainement plaisir.
Je ne peux m’empêcher de penser qu’en prenant plaisir, ce même lecteur ne peut faire l’économie de l’interrogation relative aux contenus événementiels du texte. Que raconte en fait ce roman ? La vie extraordinaire de Sliman (surnommé Kawiṭu) ? La vie perturbée de Yuyu (dimunitif de Yusef) ? Les péripéties d’un projet cinématographique abouti ayant les faveurs du jury d’un grand prix ? Le questionnement est déjà plaisir. Ce questionnement lui-même est révélateur de la complexité thématique du texte.
Ce questionnement se prolongera… et le plaisir avec. En effet, le narrateur (Yuyu), qui est au même temps personnage ; raconte-t-il les coulisses d’un film en élaboration en vue d’apporter la preuve de son innocence dans le meurtre d’Akli Amennac, producteur du film ? L’une des annonces de l’avant-propos du roman mentionne explicitement cette intrigue. Sa fonction principale est, me semble-t-il, de suggérer justement cette orientation narrative. Mais la fin du roman contredit cette réponse, ou du moins, elle la nuance. Cette fin indique plutôt que la narration n’est en fait que la purgation d’un mal profond que vit le narrateur… une thérapie recommandée par un médecin psychiatre. La narration est dans ce cas un retour sur l’origine du mal, c’est-à-dire un flashback sur une trajectoire teintée par l’entremêlement des histoires. Et la boucle est bouclée. Mais avant qu’elle se boucle, la parole est cédée à la célébration de la nature et de la simplicité de la vie écologique de Sliman, à la mise en exergue de son altruisme et à sa générosité. Par moment, la sublimation de l’écologie et la bonté se font en contradiction avec la complexité de la vie moderne (citadine, parisienne) et l’individualisme galopant.
Composé de 24 chapitres, la narration est subdivisée en deux temps qui semblent conceptualiser une courbe en mouvement narratif, d’abord ascendant puis descendant, déclinant respectivement la générosité, l’altruisme et la simplicité de la vie de Sliman (personnage et objet du film) et l’individualisme et l’incertitude de la vie de Yuyu (narrateur et réalisateur du film).
Dans les 12 premiers chapitres, la parole est suffisamment donnée à Sliman dont le rythme et la conception de la vie sont loués à telle enseigne qu’il est élu pour faire objet d’un film (voir page 24). Dans les 12 autres chapitres, Sliman est plus silencieux, par moment septique, voire même déçu, et par moment critiqué et parfois même stigmatisé par Yuyu, son compagnon occasionnel, le réalisateur du film et néanmoins narrateur dans ce texte (voir entre autres pages 109 et 110).
Cette division, en deux temps narratifs, participe grandement à la structuration du roman de Zimu. C’est l’une des qualités formelles de son texte. Une autre qualité est indéniablement l’ingéniosité du propos narratif en relation avec la fluidité de l’expression. Simple et beau, est ce texte.
Ce dernier est, certes, le premier de Zimu. Mais le romanesque a déjà teinté ses nouvelles aussi bien dans son premier recueil Tikli que dans son second, Ameddakkel. « L’errance » de l’écriture a pris quelque temps mais « l’hésitation » a fini par prendre son camp.
J’ai pris du plaisir à lire le roman de Zimu et à en rendre compte. Je vous le souhaite à vous aussi.
Mohand Akli Salhi, écrivain et enseignant-chercheur
Texte repris depuis son espace Facebook