Sans pouvoir démêler l’avéré du surajouté, je viens de découvrir les contours des pressions et de la conjuration que vous subissez en raison du fait que vous ne vous êtes pas laissés faire lorsque la directrice d’un centre d’examen vous a, semble-t-il, agressé verbalement à cause de votre tenue, chose ahurissante et inadmissible au IIIe millénaire. Cela n’a pas été suffisant puisqu’il y a eu dépôt d’une plainte contre vous, pour « comportement et port de tenue jugés indécents et injures à l’encontre de la cheffe du centre d’examen », avec constitution d’une coalition de huit témoins parmi le personnel de l’établissement. Pire, le harcèlement se serait poursuivi jusqu’au sein de votre village où vous avez essuyé outrages et propos indécents au grand dam de vos proches qui ont dû être désemparés devant une situation pour le moins déplaisante. Pour terminer, vous avez été intimidés au sein du commissariat où vous vous êtes rendus pour vous enquérir de ce qui vous est reproché par la plaignante. Pire, votre souhait de déposer plainte à votre tour, pour diffamation, y a été rejetée.
A l’aune de ces faits, il est très difficile de croire qu’un tel volume d’éléments qui se recoupent dans une campagne calomnieuse contre votre personne, pourrait être sans lien avec votre décision d’abandonner le port du voile qui, par ailleurs, vous a valu plus que des remontrances. Il est même fort probable que ce choix soit la raison originelle et inavouée de cette escalade qui surprend à plus d’un titre. Nous sommes clairement en face d’un comportement qui pourrait être aussi bien l’émanation d’un conservatisme exacerbé que d’un islamisme larvé qui, de concert, rongent notre société, lentement, mais inexorablement.
Au-delà de votre geste (dévoilement) qui relève exclusivement de votre liberté la plus absolue, celui-ci révèle aussi un effort de réflexion et d’introspection que vous avez effectué en amont, ce qui est à votre honneur. Or, ce qui aurait dû susciter autour de vous de l’admiration et du respect, s’est transformé en motif pour une chasse aux sorcières dont vous êtes l’objet. Cela est symptomatique d’une situation qui devrait inquiéter tout un chacun, car il n’y a pas si longtemps que ça, c’est le port du hidjab qui étonnait et dérangeait en Kabylie, pas le contraire. Autre temps, autres mœurs me diriez-vous.
S’il est un fait dont le caractère lénifiant parait incontestable, c’est le fait qu’en Kabylie, nous ne soyons pas encore dominés par cette mentalité morbide et par cette idéologie mortifère, terreau de l’ignorance de masse et de la violence abjecte dont elle se nourrit inversement. Encore que, on peut s’estimer heureux qu’on puisse encore se « dévoiler », s’habiller librement et l’assumer, mieux encore, de pouvoir compter sur la solidarité de la majorité de la Kabylie qui, quoi que l’ont dise et malgré ses paradoxes, reste réfractaire à l’islamisme. Ce n’est pas une question de mérite, c’est surtout une incompatibilité sociétale qui est loin d’être irréversible. Pour autant, si vous subissez aujourd’hui une telle furie qui s’est étalée dans le temps, et une plainte déguisée assortie d’une réprimande de l’agent de police par rapport à votre dévoilement, cela démontre, si besoin est, que le ver est déjà dans le fruit et qu’il est plus que jamais urgent de s’organiser, d’agir et de cesser de tolérer cette islamisation qui, le plus souvent, se pare de prétextes moralisants pour mener son travail de sape, sournoisement d’abord, violemment après coup.
Nous oublions souvent – ou nous feignons l’oubli – que cette crétinisation de l’humain par la surenchère religieuse et/ou par le conservatisme patriarcal, s’opère en s’insinuant dans notre culture séculière et en tentant de s’enkyster dans notre époque pourtant forte de toutes les aventures politico-religieuses dramatiques de l’histoire. Ce sont bien sûr les renoncements et les trahisons des politiques et des pseudos élites, mais aussi nos petites lâchetés quotidiennes qui nourrissent cet obscurantisme qui, in fine, affecte des pans entiers de notre société comme une fièvre putride.
Si je me suis étalé sur cet aspect plutôt que sur le reste, c’est pour vous dire que la problématique que soulève l’épreuve que vous traversez n’est pas nouvelle. Tant s’en faut. Elle est également beaucoup plus profonde et plus large qu’on le croit. Autrement dit, vous en êtes présentement et à votre corps défendant, celle par qui elle se révèle une fois de plus, mais c’est loin d’être une affaire personnelle. Elle vous dépasse comme elle dépasse la directrice, votre antagoniste. En ce sens, vous êtes victime de l’hostilité d’une autre femme et d’un milieu qui sont eux-mêmes victimes de cette mortification culturelle et identitaire, prélude d’une déchéance sociale qui, chemin faisant, transforme le citoyen en croyant, la liberté en déviance et l’homme de loi en membre de la Gasht-e-Ershad ; cette sinistre police des mœurs du régime des ayatollahs. C’est donc l’affaire de tous. Elle est, par conséquent, mienne.
C’est pourquoi, je vous apporte tout mon soutien. Inconditionnellement. Je me tiens à vos côtés quoi que vous entrepreniez et je vous prie de ne pas perdre de vue que vous pouvez compter sur ma solidarité en toute circonstance.
Yid-m seg ul.