Second roman de Lynda Chouiten : « Une valse » qui oscille entre la vérité et la peur (par M.A. Salhi)

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Celle qui a fait parler les cheveux revient avec un nouveau texte où elle pénètre une tête encombrée pour y décrire une vie triturée par la Tradition et « le socialement convenable ». Les discours de cette convenance sont portés par les voix qui s’y installent ; elles y produisent des dérangements et des dommages irréversibles.

Oui, c’est grandement et principalement cela qui est narré dans ce texte où l’être profond du personnage principal, Chahira, dont le corps est malmené, n’a pas cessé d’être en quête d’un petit moment de tranquillité et de sérénité. Hélas, son souhait, pieux et compréhensible, est à chaque fois différé dans le temps et dans l’espace.

De la grande prosopopée, qui attribue une voix à une instance qui n’en a pas ou ordinairement qui ne devrait pas en avoir (les cheveux avaient exceptionnellement mais très poétiquement de grâce à ses yeux), l’auteure de ce roman, Une valse, a mis en place une narration conçue comme une arène où des voix viennent perturber le projet d’une tête fragile et d’une âme cassée.

Oui, le roman de Lynda Chouiten est beau. Et les raisons ne manquent pas. L’une d’elles est, immanquablement, ce jeu de camouflage énonciatif qui consiste à raconter l’histoire d’une fille, Chahira, qui entre en « guerre » contre des voix qui perturbent la quiétude de son âme (en réalité contre elle-même, pourrait-on légitimement penser) tout en étant l’une des personnes qui pénètre les secrets de sa profondeur. Mais cette personne n’est pas comme toutes les autres qui meublent l’esprit de Chahira. Elle est narratrice. Ce n’est pas rien tout de même. C’est ce qui fait d’elle une « personne », ou en tous cas cette voix narratrice, qui porte à la connaissance du monde le mal qui range cette fille particulière, cette couturière, cette rêveuse. C’est ce prétexte qui permet la mise à nu de la Tradition, de la quotidienneté sclérosée et de l’étouffement des âmes et des perspectives possibles.

Cette voix n’est pas comme toutes les autres. Celles des autres fantômes qui s’invitent dans des moments inattendus. Celles qui dérangent, qui dénigrent et deviennent par moment impudiques voire même vulgaires. En plus d’être narratrice, la posture de cette voix est critique et n’hésite nullement à se poser des questions sur la vie de Chahira. Critique de la condition de la femme. Critique de la situation de l’individu pris dans les mailles de son groupe. Critique de l’état d’un membre dans sa propre famille, etc.

Cette voix est très constante dans sa narration. Les espaces changent, d’El Moudja à Vienne en passant par Tizi N’Tlelli, la folie de Chahira s’étale comme une tâche d’huile allant grandissant. Profondes sont les racines du Problème. D’une Imagination, qui pourrait s’avérer créatrice, à une psychose irrémédiable, Chahira n’agrée ni Médicament ni Somnifère ; elle ne cède ni à la Tradition ni au Folklore ; elle a « préféré » osciller entre la Vérité et la Peur. Les jours passent, le Problème persiste ; l’œil du narrateur se fait de plus en plus observateur, critique et dénonciateur mais aussi poétique et grave.

En portant la folie (d’une femme) dans l’espace de l’écriture, l’auteure, Lynda Chouiten, a fait le pari de rendre public la solitude d’une âme, souffrante et ambigüe. L’indicible est dit. Le pari est tenu. C’est là aussi l’une des autres raisons de la réussite de ce roman.

De lecture facile, agréable et invitant à réfléchir sa condition dans sa société et dans sa propre vie, ce roman provoque les consciences et interpelle la raison. Personnellement, j’en ai grandement pris plaisir.

« Une valse » de Lynda Chouiten (Casbah Edition, Alger, 2019)

Mohand Akli Salhi, écrivain et enseignant-chercheur
Texte repris depuis son espace Facebook