Il nous a quitté en 2020 : Le monument Idir raconté par ses chansons

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S’il fallait désigner un peintre, notre Eugène Delacroix serait plutôt un chanteur, et ce serait l’interprète de Mohand-nneɣ d afeḥli. Sans pinceaux, sans huiles, il a su peindre avec sa voix sereine, et la force tranquille de sa guitare, la grandeur de notre montagne, la candeur d’Ameksa-nni n at Hicem, les joies des naissances m’ara d-illal weqcic di lḥara, la solidarité ancestrale lors de Tiwizi, les fêtes et les célébrations avec Azwaw s umendil awraɣ, la beauté et l’authenticité de nos traditions avec isefra sur timeḥremt n leḥrir am tbaliwin.

Il lui suffisait de crier Ah ya snitraw pour que gma inu achaoui réponde à l’appel. Idir est un chasseur de lumières quand il chante i wezger i d-yeǧǧan lemtel, mais aussi un conteur de douceurs qu’il distribue tel Ssaɛid Ulaɛmara bu snat n tjellabin. Siɣ tafat anwali, car Idir est un allumeur de rêves mais également un collectionneur d’émotions qui nous fait bercer avec ufiɣ duru di lqaɛa, fkiɣ-tt i lufan yedha. Inassen a yaḍu i wat zik, inasen ars-d arsdd a yiḍes maintient éveillée en nous la conscience des ancêtres et tant mieux si cela procure le sommeil au fils du pauvre.

Tous ces fragments une fois rassemblés ne racontent qu’une seule et même histoire, ne composent q’un seul et même tableau. Une fois le puzzle achevé, la fresque majestueuse des racines se révèle dans toute sa splendeur pour nous montrer le chemin. Muqleɣ tamurt umaziɣ, yugurten walaɣ udem-ik. Une œuvre qui échappe au temps tout en concentrant plusieurs siècles d’existence, et prend source de Tizi Ouzou qui se lève depuis Asqif n Tmana pour s’étendre jusqu’à l’immense désert des Touareg pour ensuite partir à la conquête du pays d’Isaltiyen. Car oui, Idir, notre John Lennon à nous les montagnards a su, avec yelha w urrar, Cac a lwiz aremmaq et Mimmi ya mimmi, perpétuer le chant profond de Taous Amrouche et faire entendre la voix de nos villages au reste du monde. Avec Kateb Yacine, nous avons pris le français comme un butin de guerre, mais avec Idir, c’est Aznavour qui chante en kabyle. Ay aqcic arras, ay izimer akessas, la bohème tcennu taqbaylit, kečč issin tira-s.

Un homme qui n’a pas de frères à quoi ça sert ? Win ur nesɛi tagmatt mahqur. Ad nbedd i tdukli i ifecclen, ad as-d-nrebbi ifadden. Chez nous, arrac-nneɣ, c’est l’histoire d’une bande de copains natifs des années 50, tous issus des hauteurs du Djurdjura. Ils ont bravé la dictature pour chanter et s’exprimer en kabyle. Idir, Ait Menguellet, Ben Mohamed, Mohya, Ferhat et tant d’autres moins connus ou anonymes. Arrac-nneɣ, c’est kker-d kker-d a yelli, kker-d kker-d a mmi, amɣar icav dayenni pour que chaque nouvelle génération reprenne le flambeau. La génération d’Idir a passé son enfance avec la guerre, puis a connu l’allégresse et l’euphorie de l’indépendance, pour aussitôt subir la déception d’une nouvelle forme de colonisation faite de déni et de censure. Une colonisation qui, comme celle qui vient de s’achever, bâillonne, emprisonne, exile ou assassine tous ceux qui revendiquent leur origine amaziɣ. Ainsi, arrac-nneɣ, c’est ad izumal, s leqyud d tekkmamin, di yal tamurt, gezmen-asen awal, mi d-nnan tiquranin. Les bourreaux ont changé de têtes, de costumes, de langues et de pratiques, mais le mal est le même, voir pire. Ay adrar-nneɣ ɛlayen ini-d ini-d ma sɣur-k i d-nefruri. Arrac-nneɣ, c’est les jeunes de 80, de 88 et ceux du printemps noir qui ont crié haut et fort awi-d ɣ-iḥekmen yebbeḍ-d lawan ad truḥem, ad thenni tmurt seg-wen. Aujourd’hui encore, combien d’arrac-nneɣ croupissent en prison pour avoir revendiqué un état de droit ou leur identité. Tamurt tuɣal d lḥebs n warrac. Combien ont payé de leur vie pour faire entendre tiɣri n wegdud yenna-n anda-t umur-iw. Ɛlay a tazdayt ɛlay ekk-d s nnig leḥwari. Sslam siweḍ-as-t i yemma in-as lḥebs yegguni. Oh mon pays, pourquoi cette pluie ? A ḥeq lḥeq yetmenɣen ɣef akal yerɣan mazalna digrawleyyen mazalna thouwwar.

A tulawin a tiḥninin sut tirrugza a tiqvayliyin. Idir a donné la voix à ces femmes kabyles, épouses et mères, qui souffrent en silence et n’ont personne à qui se confier. Sssendu, ssendu ! Ces femmes que le destin et les conventions sociales n’ont pas épargnées, mais qui, contre vents et marrées restent dignes pour affronter la vie, donner la vie, élever et éduquer leurs enfants, leur donner la tendresse et les couver de tout l’amour qu’elles ont. Ssendu, ssendu ! Les mots courage et sacrifice n’existent pas dans leur vocabulaire, car il n’y a que des devoirs et de l’amour dans leurs actes. Ssendu, ssendu ! Quel que soit le système de règne auquel on croit, chacun de nous aime une reine unique et irremplaçable, la reine qui nous a mis au monde, et qui vaut bien plus que l’univers et toutes ses dimensions : ttayemat. Ttayematt à qui Idir a consacré une chanson parmi les plus touchantes du répertoire de la musique kabyle. Uh a weltma, am iniɣ lehḍur qerḥen : chez nous, l’exil a pris la fâcheuse habitude à se répéter génération après génération, à perdurer sur des décennies et à jouer de nos rêves les plus chers, les plus humbles, pour nous retourner en échange de nos sacrifices vains qu’illusions et déroutes.

Wwḍeɣ ɣer lɣerba ɣelṭaɣ, mačči akken i twalan-t wallen-iw. Là encore, nos chères mamans ont souffert de séparation et d’absence. Err-as tili, err-as tili, i win ɛzizen fell-i. Que ce soit dans le rôle de l’épouse yettraǧǧun deg wergaz a wer n-yali tettwali-d sura-s di lemri ou dans celui de la mère esseulée attendant le retour de l’être cher qu’elle appelle par ses complaintes : ini a mmi ttxilek zzi-d ɣur-i, d yemma-k i d aken issawlen. De l’autre coté, quelque part ailleurs, aɣrib attend le jour du retour, le jour du roplane am yifer ɣezzif. In am assa ncallah ad yuɣal, ass-nni ad k-nzur a Ccix Muhend. Et ce jour-là, abehri n tmedit lui essayera les larmes.

Tu sais ma fille, chez nous, Idir est un membre de chaque famille. Il nous appartient à tous. Nous le chantons tous. Nous l’aimons tous. Il vient de là où on l’aime. Yenteq umeqran deg-sen, yenteq ulemmas deg-sen, yenteq umectuh deg-sen pour chanter : A vava inuva. Aujourd’hui, nous le perdons tous. Chaque chanson, chaque poème nous rappelle soit un coin de la maison où tislit deffir uzetta tessallay tijebbadin, un beau paysage de adrar-inu seddaw igenwan yekcem ger yetran, les essaims de fleurs au printemps, ou les tempêtes de neige en hiver quand adeffel yessed tibbura, tajmaɛt tettargu tafsut. Il a chanté l’identité avec conviction, la colère et l’engagement avec sagesse, la misère et l’adversité avec dignité, la joie avec pudeur, l’espoir et l’espérance avec générosité. Le tout resplendit avec des notes de musique douces transcendant les frontières, au message à la fois universel et profondément kabyle.

Allah allah allah yeɣlid tlam ɣef tmurt asmi d-tewweḍ lmut. Tu nous as appris à lever le regard vers le ciel pour admirer itri i wumi tzad tafat et nous savons aujourd’hui que tu le rejoins pour briller dans notre ciel pour l’éternité. Ruḥ a sidi ruḥ, ur ttaggad, ur ken tettu.
Repose en paix l’artiste !

Par Idir Dah

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