Le nouveau clip de Takfarinas a rassemblé des dizaines de personnes, des techniciens, des figurants, des choristes et une danseuse, Léa Belkadi. Sa brève apparition dans ce clip électrique a apporté de l’authenticité. Nous avons souhaité nous rapprocher d’elle pour savoir qui elle est.
Native du village d’Iferhounene dans les hauteurs de l’Ouest de la Kabylie, la jeune lycéenne de 17 ans s’est installée en France avec sa famille depuis 2019. On découvre une jeune femme pleine de ressources et passionnée, pour qui la danse mais aussi la lecture et la lutte est une seconde nature.
VAVA-innova : que faîtes-vous dans la vie ?
Léa Belkadi : Je fais du handball et de la danse Kabyle. Je mène en parallèle divers combats qui me tiennent à cœur : le combat féministe qui prône l’égalité homme-femme, le combat pour que la justice soit régnante mais aussi le combat identitaire dont celui de la cause kabyle.
En plus de la danse et du handball, quelles sont vos autres passions ?
Je suis passionnée de maintes choses, la poésie et l’écriture des textes en langue kabyle. Je suis aussi une grande fan de la musique chaâbi. Un étonnement d’ailleurs pour la plupart des gens qui me connaissent ; « Comment se fait-il qu’à ton âge tu écoutes déjà El Ankis ou encore Messaoudi ? La plupart des jeunes de ta génération préfèrent écouter de la Pop Music, du moderne« .
Mais ma principale passion est la danse ! Dès mes 5ans j’ai commencé à danser. Il faut savoir que personne ne s’est invité à m’apprendre les pas essentiels de la danse kabyle, ça m’est venu spontanément, je dirai même que c’est génétique, vu que dans ma famille la danse coule dans nos veines.
J’ai toujours vu et ressenti la danse comme étant un art et non pas un moyen pour mettre l’ambiance et/ou faire la fête car à mon humble avis cela serait absurde de dire que l’art n’est rien d’autre qu’une sensation. C’est une émotion.
Pourtant, il y en a qui pensent que la danse kabyle ce n’est que remuer les hanches…
Oui les esprits archaïques voient la chose ainsi. Dans la vielle tradition, une femme qui danse est synonyme de femme indigne et qui porte atteinte aux valeurs ancestrales. La femme ne doit point s’exhiber pour faire bouger les différentes parties de son corps. La danse a pendant longtemps été un tabou. Aujourd’hui encore il existe des familles qui refusent aux filles de danser.
Cela est absurde, je pourrai moi aussi dire que le chant n’est rien d’autre qu’une voix humaine qui produit différents sons. Justement, l’art doit interroger, déranger le spectateur dans tous ses rapports avec l’environnement dans lequel il vit. N’est ce pas le cas avec la danse kabyle ?
Vous faîtes partie d’une troupe ou bien vous suivez des cours de danse ?
En fait, j’aimais la danse, je dansais partout, je ne ratais aucun mariage. Arrivée en France en 2019, j’ai voulu pratiquer cette passion qui me tenait à cœur, j’ai donc contacté la troupe Tilelli qui n’a pas tardé à me faire une place au sein de son équipe professionnelle. Je venais à peine de l’intégrer qu’on m’annonçait déjà que mon premier spectacle de danse allait avoir lieu au zénith le 12 janvier 2020 avec Zedek Mouloud.
Avec cette équipe je n’ai fait que persévérer et, aujourd’hui encore, grâce à elle, j’ai pu participer au clip de Takfarinas et être sa danseuse. Ce fut un véritable honneur pour moi. Je tiens à les remercier et à remercier tout spécialement Naima Tilelli qui m’a parfaitement formée.
Comment cela s’est passé au Zénith ?
Alors c’était un moment très chargé en émotion, c’était la première fois que je montais sur scène pour danser devant un aussi grand public. J’étais stressée au début mais après avoir commencé à danser tout s’est dissipé, le sentiment de joie et de fierté a très vite pris place.
Quelle est votre histoire avec la Kabylie, sa culture et son combat ?
Petite, pendant que mes ami(e)s passaient leur temps à jouer et à errer dans les champs, mon père me retenait à la maison et me faisait écouter à longueur de journée les cassettes de Muḥya. Si ce n’était Muḥya c’était Ideflawen et si ce n’était Ideflawen c’était Ferhat Imula ou encore Meksa. Ma mère de son côté me faisait écouter Matoub Lounes, elle l’aimait beaucoup, et j’en suis persuadée aujourd’hui que je tiens ça d’elle : aimer Lounes et l’idolâtrer. J’ai grandi avec cette culture d’écouter des artistes engagé(e)s.
À l’âge de 8ans j’ai découvert l’univers de la lecture, je ne lisais pas comme tous les enfants des histoires pour dormir. Je lisais plutôt la journée et souvent c’était des livres bien plus complexes que ceux des histoires enfantines, tels que « Le fils du Pauvre » de Mouloud Feraoun qui est d’ailleurs le tout premier que j’ai lu.
Je ne comprenais pas grand chose mais je lisais et l’important était là : lire pour lire. En grandissant j’ai commencé à comprendre ce que Feraoun ou Mammeri voulaient dire à travers leur plume. J’ai commencé par ailleurs à chercher sur les artistes que mes parents me faisaient écouter, à analyser leurs textes.
J’ai vite compris qu’ils partageaient tous le même combat ; se battre et revendiquer son l’identité. Et c’est là aussi que j’ai compris que cette même identité courrait un danger permanent, qu’elle était ciblée de partout et qu’on était un peuple opprimé qui avait soif de justice, faim de liberté.
Tout cela est la raison de mon attachement à mon identité, au combat kabyle à la culture et à l’histoire de mes aïeux : à commencer par celle des reines et rois amaziɣ jusqu’à celle des 127 jeunes du printemps noir.
Et comme Matoub Lounes qui est mon idole distingué ou tout comme Taous Amrouche l’écrivaine émancipée ; je ne cesserai de me battre jusqu’à ma mort pour ces causes aussi nobles que justes : l’égalité, la justice et l’identité. Le rebelle l’a dit : « Celui qui ne sait rien et ne dit rien est un imbécile, mais celui qui sait et ne dit rien est un criminel ! « .
Vous avez parlé plus haut de combat féministe. Quel devrait être ce combat dans le contexte kabyle ?
Le combat contre le code de la famille, contre les mentalités qui font en sorte que la femme reste l’éternelle mineur, sous l’autorité d’un sexe masculin. Contre tout ce qui pourrait être un obstacle pour l’épanouissement de la femme sa capacité à prendre ses propres décisions faire ses propres choix sans être jugée et/ou être mal vue par cette société patriarcale.
On veut l’égalité, on ne cherche pas à être supérieures aux hommes et on veut non plus pas être inférieures. Le féminisme c’est la justesse.
Il est temps pour la femme kabyle de prendre conscience de ce que la société lui fait subir. Elle est étouffée de partout, dès la naissance on lui fait comprendre que sa personnalité dépendra de ce que les gens diront d’elle.
Une femme d’honneur est celle qui est appréciée de tout le monde. Quelle sottise! Elle doit veiller à ce qu’elle ait une bonne réputation, qu’elle sache dire oui aux grands, qu’elle baissent les yeux devant les hommes…La liste est malheureusement très longue.
La femme kabyle doit être sous l’autorité de son père ou de ses frères puis de son mari une fois mariée. Elle ne doit pas prendre ses propres décisions ni faire ses propres choix, elle doit toujours demander l’autorisation de son « tuteur ».
Chez nous on se soucie pas de l’épanouissement de la femme. C’est une femme elle doit subir, se taire et avoir beaucoup de courage. Elle passera sa vie à s’oublier, à oublier ses désirs même les plus chers et à se contenter de ce que la vie peut lui offrir.
Le combat féministe peut également passer par la danse ?
Bien évidemment, comme tout autre art, elle pourrait être un moyen d’expression. Nos grands-mères exprimaient leur accablement à travers le chant.