Aux origines de la radio kabyle et de la chanson féminine kabyle : Lla Yamina, Mme Lafarge, Lla Unisa, …

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Lla Yamina, Lla Taseɛdit, Lla Unisa ou encore Lla Zina font partie de ces femmes qui ont tracé les jalons de la chanson kabyle féminine, mais sont aussi les fondatrices de la première radio kabyle à Alger dans les années 20s. Elles avaient l’ambition, le talent et surtout le courage qu’il fallait pour que de jeunes femmes comme elles puissent créer et se produire à la radio sous l’ombre de la pesante tradition. Toutefois, leurs noms sont très peu connus à ce jour.

Étant un projet initié par Lla Taseɛdit, dont le vrai nom est Mme Lafarge, une femme issue d’une famille pied-noir et qui connaissait très bien le kabyle, le trio Yamina, Unisa et Zina l’ont très vite rejoint pour réaliser leurs rêves et briser les murs des tabous. Avec leurs chansons, leurs voix et leurs textes relatant la misère quotidienne collective, notamment l’exil, l’amour et la misère de la femme kabyle. Le peuple, bien que très réticent à l’idée qu’une femme fasse carrière dans la musique, est bercé, voire charmé par les chants traditionnels de ces femmes. Toutefois, elles opéraient en anonymes et utilisaient des pseudonymes pour ne pas être reconnues par leur entourage et familles.

Lancement de la première radio kabyle

En 1924, Lla Yamina fait la rencontre de Lla Taseɛdit, par l’intermédiaire de Unisa. Lla Taseɛdit était la fondatrice de la radio et elle cherchait des chanteuses pour animer des émissions. Lla Yamina, étant déjà très talentueuse et issue d’une famille d’artistes, n’a pas raté cette occasion, et ne manquera pas de ramener plusieurs autres femmes, de son cercle d’amis et de famille, pour adhérer au projet. C’est là que le trio Lla Yamina, Lla Unisa et Lla Zina, se constituera. Elles seront les premières femmes kabyles à chanter sur les ondes radio. Elles créeront alors l’émission « Urar n Lxalat » où elles chanteront des icewwiqen et des chansons de terroir dont les mélodies et les paroles sont totalement créées par elles. Même si elles étaient illettrées, ces femmes ont pu produire des chefs d’œuvre.

A rappeler qu’à l’époque, ces femmes ne disposaient pas d’une radio, mais d’une radio-PPT dans une petite salle située au dessus de la grande poste d’Alger. Les enregistrements n’étant pas possible, cette radio leur permettait au moins de transmettre leur voix en faisant des directs. Ces émissions premièrement destinées aux émigrés, ont très vite conquis les villages, qui écoutaient et suivaient, à l’aide de récepteurs radiophoniques, toutes leurs prestations.

A partir des années 40s, le petit groupe commencera à s’élargir et formera une chorale de femmes constituée de plusieurs chanteuses dont des noms son connus à ce jour, à savoir Jida Tameqqṛant, Cherifa, Djamila, Farida ou encore Zahia Khalfellah. L’émission « Urar n lxalat » sera alors diffusée une fois par semaine, puis 2 fois par semaine, en vue de leur succès. A la fin des années 40s, Nouredine Meziane, connu sous le nom de Cheikh Nordine, viendra donner un coup de pouce à la chaine en y créant plusieurs rubriques. Il ramènera aussi un orchestre pour accompagner les chants de ces femmes. Cela permettait aux chanteuses de s’engager personnellement dans des animations diverses telles que le chant, le théâtre et la comédie musicale, et ainsi sortir d’une production collective pour que chacune puisse faire sa propre carrière.

Lla Yamina

Lla Yamina, de son vrai nom, Arab Farroudja, est née présumé en 1906 à Aqbu (Bgayet). Après sa rencontre avec Lla Taseɛdit, elle sera la doyenne de la chaine de radio kabyle. Elle chantera dans le trio « Unisa » et sera l’auteure de la majorité des chansons chantées par ce dernier ainsi que par la chorale « enfantine ». Dotée d’un puissant verbe, elle est aussi très inventive dans les mélodies. Elle continuera à travailler dans cette chaine radio, aujourd’hui, devenue Alger chaine II, jusqu’en 1990, lorsque l’émission « Urar n Lxalat » sera supprimée du programme. La pionnière de la chanson féminine kabyle s’est éteinte le 24 janvier 2008, à l’âge de 102 ans.

Lla Unisa

Lla Unisa, était la mère de Zahia Khelfellah et l’épouse de l’oncle de Lla Yamina. Elle était celle qui a introduit Mme Lafarge à Lla Yamina pour commencer à chanter. Elle a fait partie de ce trio qui était baptisé à son nom, par respect à son âge, car elle était l’ainée. Toutefois, Unisa n’est pas restée longtemps dans l’aventure. 

Lla Zina

Quant à Lla Zina, de son vrai nom Ouardia Mahdaoui, elle est originaire d’At Wertilan. Elle faisait aussi partie de l’entourage de Lla Yamina. Elle était plus précisément son ami et sa voisine. Elle intégra le trio « Lla Unisa » et continuera à chanter dans « Urar n Lxalat » jusque dans les années 80s.

Lla Taseɛdit (Mme Lafarge)

D’après certains témoignages, dont celui de Ǧida Tamecṭuḥt, Mme Lafarge serait la créatrice de la radio d’Alger dans son ensemble. Née à Aqbu d’une famille pied-noir, elle exercera en tant qu’institutrice. Elle se mariera à un militaire spécialisé dans les transmissions et finiront par s’installer à Alger. Mme Lafarge, parlant très couramment le kabyle, était tellement imprégnée par la culture féminine kabyle qu’on lui donnera un surnom affectueux : Lla Taseɛdit. Celle-ci s’investira auprès de ces femmes jusqu’à l’indépendance où elle rejoindra définitivement la France.

L’émission « Nnuba n yilmeẓyen », berceau des célèbres chanteuses des années 50s et 60s

Initiée par Lla Taseɛdit, elle aimait beaucoup les enfants et leur a créé une chorale qui passera chaque semaine à la radio. Cette émission sera alors appelé « Nnuba n warrac imeẓyanen » (enfantine). C’est dans cette chorale des enfants, que de nombreuses artistes et comédiennes kabyles des années 50s et 60s ont émergé. On peut d’ailleurs citer Ǧida Tamecṭuḥt, de son vrai nom Djida Arab, qui a été introduite par sa tente, Lla Yamina, à l’âge de 6 ans dans la chorale. Elle deviendra par la suite une célèbre chanteuse et passera plus tard à la télévision. D’autres encore comme Nouara, Djamila, Anissa et Fatma Zohra sont sorties de cette enfantine pour ouvrir les portes à la production individuelle féminine dans le monde de la musique qui était jusque-là collectif. Toutefois, la chorale en elle-même s’est arrêtée au départ de Mme Lafarge dans les années 60.

Le trio mythique « Unisa » était la première génération de chanteuses qui ont, non seulement ouvert les portes de la radio kabyle, mais aussi celles qui ont frayé le chemin du chant féminin dans le monde de la musique.

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