Romain répand — Lǧamaε, chez les Kabyles, c’est « la maison de Dieu » et non « la mosquée islamique »

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Lǧamaε (Ldjamaâ), chez les Kabyles, signifie jusque-là « Axxam n Rebbi/la maison de Dieu« . Quel Dieu ? Ce n’est pas défini. De tous les dieux. Une espèce de Panthéon qui regroupe toutes les divinités. Lǧamaε vient du verbe « Jmaε » qui signifie rassembler ou réunir.

Les villageois utilisent d’habitude cette maison pour toutes leurs activités religieuses, politiques et culturelles. C’est à Lǧamaε qu’ils célèbrent même le rite d’Anzar. Lǧamaε du village servait aussi d’hôtel aux étrangers de passage. Lǧamaε, chez les Kabyles, ne signifie pas mosquée islamique ou maison d’Allah, c’est la maison de Dieu « Axxam n Rebbi ». Elle n’appartient à personne. Elle accueille tout le monde sans distinction religieuse.

Dans les années 70, Lǧamaε servait à la fois de bureau politique au parti unique, de bureau au comité de village, de salle de réunion, c’est là aussi où l’on enseignait tamazight. Ferhat Mehenni l’a fait dans son village, sous le règne de Boumedienne. Quelques années plus tard, la sonorisation de cette petite mosquée a diffusé sans interruption les chansons de Matoub après son assassinat.

Depuis quelques années, Lǧamaε kabyle a changé de vocation. L’État a transformé, à coups de milliards, son architecture tout en transfigurant l’aspect des villages et celui de leur environnement méditerranéen. On se croirait au Yémen ou en Palestine. D’énormes édifices ont remplacé les discrets temples d’antan. Lǧamaε, aujourd’hui, est devenu une véritable mosquée islamique, pour ne pas dire islamiste, car il (Lǧamaε) sert de tribune et de QG aux prédicateurs de la mort. Il est devenu même un lieu d’arabisation et de radicalisation. Sans oublier la pollution sonore et idéologique que les villageois sont dans l’obligation de subir 5 fois par jour. Ce que Aldoux Huxley appelait dans « Le Retour aux Meilleurs des mondes » : « la remise en mémoire des pratiques locales« .

Lǧamaε n’appartient plus au village. Désormais il est devenu une mosquée : un édifice de l’État. Il ne l’a pas financé pour le bien de la Kabylie, mais plutôt pour réislamiser ses enfants et chasser, de surcroit, les autres divinités des lieux qu’il veut exclusivement islamiques. Une mosquée imposante dans un village est symbole de domination. Elle sent l’odeur du fauve islamique marquant de son urine son vaste territoire de chasse.

Romain Caesar, Écrivain