Je ne sais pas si vous partagez ce présent constat, moi, je trouve que la société kabyle, comme toutes les minorités, est complètement shootée au discours sur la culture, d’autant plus que celui-ci n’est plus la propriété des intellectuels progressistes, mais plutôt de n’importe quel quidam.
La culture, ce presque gros mot, coincée, entre l’Arabo-islamisme qui fait la promotion du folklore et des traditions religieuses, puis les intellectuels internationalistes de gauche qui encouragent l’expression des bas instincts du petit peuple, des médiocres et des ignorants contre tous ceux qui produisent un peu de beauté et de sens, et qu’ils traitent, par obligation idéologique, d’élitistes et de petits bourgeois, elle est devenue l’affaire de tous. Tout le monde est poète, chanteur, spécialiste de la langue, d’histoire…
En Kabylie, contrairement aux autres régions d’Algérie où tout ce qu’on touche devient religion, tout se transforme en culture. Il y a plus de conférences sur la cueillette des olives que d’olives en hiver. Nous vivons tout via le prisme de la culture. Une espèce de momification des objets et des pratiques anciennes.
Nous « intellectualisons » tout à travers nos médias. Combien de fois n’avons pas entendu nos valeureux et valeureuses animateur(trice)s radiophoniques et télévisuel(le)s, ces étourneaux d’été, présenter leurs respects, à partir de leurs studios chauds et confortables des villes, aux derniers pécheurs-cueilleurs des montagnes qui continuent encore de chercher les dernières olives, épargnées par les feux d’été, sous la neige ou le verglas matinal.
Voilà à quoi ressemble notre réalité : nous sommes devenus tous des hommes et des femmes de culture, des documentaristes, à la recherche d’un homme qui pioche, d’un jeune homme qui tend des pièges aux oiseaux, d’une jeune fille vêtue d’habit traditionnel, d’un vieux déclamant des poèmes, d’un imam récitant la fatiha en kabyle… et nous osons appeler ces archaïsmes les petites lueurs d’espoir, voire de la culture.
Le discours culturel qu’entretiennent les milieux populistes et culturalistes kabyles est aussi néfaste que le discours islamique. Le désespoir va jusqu’à croire, du moins c’est ce qu’une certaine élite a fait croire aux Kabyles, qu’il existe une culture berbère, congelée par le pouvoir, et qu’il suffit de la décongeler, pour voir leur pays se transformer en paradis sur terre.
Certes que le pouvoir laisse mourir l’élément berbère en chacun de nous, mais soyons sérieux, le pouvoir, a t-il vraiment besoin de lutter contre la culture berbère ? Elle est l’ombre d’elle-même. Elle est si pauvre qu’elle ne peut presque rien apporter à ses consommateurs, hormis la frustration, l’impuissance devant le réel, la honte de soi et la culpabilité.
La culture collective se construit à partir de l’école, par des enseignements de qualité, dans le cadre des valeurs universelles. Les Européens n’enseignent pas dans leurs écoles les cultures locales, les poètes locaux, les scientifiques du continent…. Ils enseignent la connaissance humaine, asiatique, américaine, indienne, perse, grecque, latine, arabe et africaine… La culture collective ne peut exister sans la culture individuelle que chacun de nous doit acquérir par ces différentes sagesses. Aucun Américain ne te dira, comme certaines intellectuels de chez nous : « il y a tout dans notre culture, nous n’avons besoin de personne ». Au contraire, l’Américain est tout le temps en quête d’autres sagesses, d’autres alliances et d’autres sciences. Il ouvre grand l’Amérique pour recruter tout ce qu’il y a de meilleur. La loterie est faite pour cela.
Nous devons faire peut-être comme ces derniers : bâtir un pays sans histoire, sans passé, mais d’Avenir. Fabriquer le citoyen de demain. Le seul moyen d’échapper à la tradition, à la religion et à notre condition parfois sectaire, tribale et communautariste.
Avant la guerre d’Algérie, les Kabyles n’avaient pas de problèmes d’identité et de langue. Chaque Kabyle est défini selon ses qualités morales et professionnelles. Chaque Kabyle était attaché à sa terre et à sa famille. Chacun est patron de lui-même. L’indépendance a fait de lui, hélas, un assisté. Aujourd’hui, si l’État ne lui donne pas du travail, il crèvera de faim, et pour que l’État lui donne un salaire, il doit renoncer à toutes ses valeurs, voire leur abandonner son âme.
C’est cet esprit libéral, antique, d’entreprise que le Kabyle d’aujourd’hui doit retrouver pour se débarrasser enfin du salaire de la honte prolétarien et de toute cette culture folklorique et islamiste de l’aliénation subventionnée par l’État algérien qui paye les médiocres kabyles afin de faire haïr la vraie culture, à savoir la culture universelle, aux jeunes Kabyles, qui comme Icare, se brûlent les ailes chaque fois qu’ils tentent de voler vers le soleil… de la vie et de la connaissance.