Parti d’Akaoudj, le Dr. Djaffar Ould Abdselam fait sensation avec la prothèse de main intelligente (Interview)

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Le 15 octobre dernier, la chaine France 3 a consacré un reportage à Djaffar Ould Abdselam et son équipe à l’IUT de Mulhouse. Leur projet est de concevoir une prothèse de main intelligente, qui, à force de son utilisation, apprend à toujours mieux interpréter les signaux électriques qu’elle reçoit des muscles et à produire les mouvements attendus.

Dans ce reportage, le scientifique arbore un pin’s Aza (croix berbère) et nous nous sommes rapprochés de lui pour mieux connaitre son parcours et en savoir plus sur cette innovation que l’IUT mettra à disposition des industriels en open source.

Djaffar Ould Abdeslam est un enseignant-chercheur à l’université de Haute-Alsace. Originaire d’Akaoudj, dans localité d’Akbil (Michelet), il a complété un parcours scolaire classique avant d’intégrer l’université de Mouloud Mammeri pour y préparer un ingéniorat en électronique.

C’est en 2001 que le jeune ingénieur, alors âgé de 24 ans, a décidé de poursuivre ses études en France. Il a donc intégré l’université de Besançon où il a préparé un Master 2 (anciennement DEA) en Automatique et Productique avant de décrocher une thèse de doctorat à Mulhouse en 2002 dans l’intelligence artificielle appliquée à l’énergie.

En 2005, le doctorant a soutenu sa thèse avec brio, ce qui lui a valu d’être recruté en qualité de maître de conférences par l’université de Haute-Alsace. En 2014, il a obtenu son HDR (Habilitation à Diriger les Recherches). Depuis, il a effectué un bon nombre de travaux de recherche et a dirigé des thèses dans le domaine de l’intelligence artificielle appliquée à l’énergie. Il a également été lauréat de la PES (Prime d’Excellence Scientifique) et la PEDR (Prime d’Encadrement Doctoral et de Recherche).

VAVA-innova : Vous êtes enseignant et chercheur au sein de l’IUT Mulhouse dans les domaines de Electronique, Electrotechnique et Automatique, en quoi consiste concrètement votre travail ?

Djaffar Ould Abdselam : Alors il y a plusieurs sujets. Il y a de l’intelligence artificielle appliquée à l’énergie. On travaille sur l’optimisation du rendement des panneaux photovoltaïques, sur le management des batteries de voitures, sur la recharge et aussi sur l’autoconsommation, ce qui se traduit par une meilleure gestion de l’énergie afin de réduire les consommations.

Il y a des projets européens sur lesquels nous travaillons. Je suis moi-même coordinateur d’un projet européen France-suisse-Allemagne qui comprend 15 partenaires, entre entreprises et universités. Nous travaillons dans le cadre de ce projet sur la conception d’un compteur intelligent qui va réduire les consommations des ménages. C’est dans le cadre du projet SMI, d’un budget de 02 millions d’euros (www.smi.uha.fr).

Je coordonne également, avec une de mes doctorantes, la partie Cybersécurité des réseaux électriques d’un autre projet tri-national porté par l’université de Freiburg en Allemagne (www.res-tmo.com).

Je bosse beaucoup avec les allemands, des thésards notamment, aussi des suisses. Comme Mulhouse est située à la bordure des frontières des trois pays, ça permet une meilleure collaboration dans le domaine de l’enseignement et de la recherche. D’ailleurs, dans notre université, nous proposons des diplômes tri-nationaux.

On travaille également dans le domaine des prothèses de main myoélectriques, en collaboration avec des médecins et des ergothérapeutes suisses, mais nous, c’est plus l’intelligence artificielle. D’ailleurs le lien avec ce que je fais dans l’énergie, c’est que ça fonctionne avec les mêmes algorithmes car les signaux sont de même nature. Les outils pour les étudier sont très similaires. On a même fait la une du journal l’Alsace et un passage dans le journal télévisé de France 3 :

Vous menez des projets de fabrication de membres bioniques notamment. Une telle réalisation fait intervenir quels métiers ?

Elle fait intervenir les métiers de l’automatique, la robotique, l’intelligence artificielle et la médecine, notamment les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes.

Les membres bioniques, est-ce que c’est efficace et exploité par des ayants besoins ou c’est encore au stade de recherche ?

Les prothèses de main, c’est un peu des orphelines par rapport aux prothèses de pieds. Il y a plus de travail qui a été fait pour les prothèses de pieds que pour les prothèses de mains. Sur les 40 dernières années, l’évolution était très lente. Ce sont les Fab Lab et les Makers qui ont voulu faire avancer la cause et qui ont fait évoluer un peu les choses, car pour les entreprises ou les industriels ce sont des projets couteux qui ne sont pas forcément rentables.

Toutefois, durant les 10 dernières années, un progrès important a été réalisé, et ce, grâce à l’intelligence artificielle et à la démocratisation des imprimantes 3D.

Pour répondre à la question, donc, oui, elles sont exploitées, toutefois, actuellement, ce qui est disponible sur le marché ce sont des prothèses myoélectriques pas très performantes, lourdes et très chères. Elles coûtent dans les 80 000 €. Elles ne font que la prise dans la plupart des cas, c’est comme une main qui fait la pince. Les mouvements ne sont pas forcément bien coordonnés.

Nous ce que l’on veut faire avec l’intelligence artificielle dans le cadre de notre projet, c’est de concevoir des mains qui vont couter dans les 2000 € et qui seront plus performantes. Tous les développements que nous ferons seront en open source, donc nous ne ferons pas de bénéfices et les autres pourront reprendre nos travaux.

Donc, en plus d’être bien moins chère, cette main serait plus performante ?

Oui, plus performante étant donné qu’avec l’intelligence artificielle l’utilisateur aura une meilleure maîtrise de sa main et il y aura une meilleure adaptabilité pour que la main puisse répondre à ses commandes. La main va être une main apprenante, ce qui veut dire que c’est la main qui va se perfectionner toute seule.

Est-ce que ce que vous faites en France peut être fait au pays ?

Bien-sûr, tout peut se faire, il faut juste laisser les gens travailler !

En 2007, j’ai repris contact avec les enseignants de l’université de Tizi-Ouzou pour leur proposer une collaboration, chose qui a été faite. L’université de Tizi Ouzou et celle de Mulhouse collaborent ainsi sur plusieurs projets de recherche. D’ailleurs, je viens à Tizi Ouzou jusqu’à 2 fois par année pour donner des conférences. Et cela a donné issue à des publications dans des revues scientifiques internationales de haut rang. Actuellement, j’accueille jusqu’à 10 personnes par année de l’université de Tizi Ouzou (entre chercheurs et doctorants) dans le cadre de ces collaborations.

Il y a notamment un étudiant de l’université de Tizi Ouzou qui a soutenu il y a à peine un mois, un double doctorat en collaboration avec l’université de Mulhouse. Il avait donc un directeur de thèse à Tizi Ouzou et moi j’étais son directeur de thèse ici. Il a alterné 6 mois entre les deux universités durant 4 ans.

Nous préparons également une collaboration future avec l’université de Vgayet.

Par ailleurs, vous avez réussi à faire parler Néo en kabyle ! Un commentaire ?

Alors c’était un peu une plaisanterie mais c’était aussi une plaisanterie qui dit que la langue kabyle peut aussi être parlée par les robots. Donc je l’ai fait aussi pour la symbolique, pour dire que le Kabyle peut être une langue des sciences.

Vous êtes membre sénior de la IEEE. Pouvez-vous nous en parler ?

On appelle ça les sociétés savantes. Elles regroupent tous les journaux et toutes les conférences du domaine « electrical engineering » et ça englobe de l’automatique, l’électronique, l’intelligence artificielle et l’électrotechnique. Quand tu es dedans et que tu es senior membre, c’est une reconnaissance pour l’activité que tu exerces.

J’ai organisé plusieurs conférences pour l’IEEE. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde et évalué les travaux qui ont été faits par des universitaires un peu partout.

Quels sont vos liens avec votre Kabylie natale ?

La pandémie m’a montré que j’ai un lien viscéral avec la Kabylie. J’y vais au moins 5 fois par années. Ce qui me montre mon attachement, que « nek d Aqvayli ! », c’est le fait que je me rends quasiment tous les week-ends dans les montagnes, ici en Europe, dans les Alpes, notamment en France et en suisse. D’ailleurs le système de confédération suisse est très proche du système des confédérations des ârchs kabyles. Notamment à travers cette autonomie villageoise, et ça on le retrouve dans les montagnes suisses aussi, comme en Kabylie.

Je suis aussi président de l’association culturelle berbère de Mulhouse (ACB68) depuis 6 ans. Cette association existe depuis 26 ans. Je l’ai intégrée il y a 19 ans, dès mon arrivée à Mulhouse. J’y étais vice-président durant 10 ans. On organise des conférences, des activités, des concerts. On a fait venir Ait Menguellet, Ferhat Mehenni, Ali Ideflawen, Ali Amran, Mugar, mais surtout on fait beaucoup de conférences, autour des livres, de l’histoire et de la langue. On a notamment invité Madjid Boutemeur et l’écrivain Karim Akouche, qui sont d’ailleurs des amis et plein d’autre écrivains. Pour Yennayer 2971, c’est Akila KIZZI, Enseignante-chercheure à l’université Paris 8, qui nous fera une conférence en visio autour de son livre « Marie-Louise Taos Amrouche, Passions et déchirements identitaires »

Quel message vous voudriez faire passer aux étudiants en Kabylie notamment ? 

C’est un message très simple, c’est de croire en leurs chances, de travailler, ça ce n’est pas un secret. Il ne faut jamais céder au désespoir et surtout, ne jamais oublier d’où on vient, surtout pour ceux qui veulent voir d’autres horizons et voyager. Nos fondamentaux en Kabylie sont universels et permettent aux jeunes de vivre en harmonie avec les autres, quelles que soient les différences.