Rose Ameziane et Malik Yettou, deux animateurs de l’émission « l’Actu autrement » diffusée par la radio Beur FM ont fait l’objet d’une sanction de leur employeur alors qu’ils préparaient une émission sur l’accord de normalisation entre le Maroc et Israël. C’est ce qui a été rapporté par le magazine d’actu hebdomadaire « Marianne » qui a recueilli les propos des parties concernées.
« On avait fait le choix de proposer une émission de débat ouverte et sans tabou, aujourd’hui c’est la stupéfaction et le dégoût » a regretté Malik Yettou, co-animateur de l’émission et vice-président de l’association « Mouvement émancipation territoire ».
Les faits remontent à fin décembre, alors que les deux animateurs sont allés à la rencontre de l’ambassadeur d’Israël en France, Daniel Saada. L’ambassade, visiblement enchantée par cet entretien a posté un tweet durant la journée du 23 décembre. « Un grand merci aux présentateurs d’Actu autrement sur Beur FM, Rose Ameziane et Malik Yettou, qui rencontraient ce matin D. Saada, ambassadeur par intérim d’Israël en France et Simon Seroussi, porte-parole d’Israël en France, pour un échange agréable, notamment sur le récent accord entre Israël et le Maroc », peut-on lire sur le tweet.
Suite à la diffusion de ce post suivi d’une photo des animateurs avec les représentants israéliens, la directrice de la radio a décidé de réagir en adressant un mail à Rose Ameziane : « Pour votre information à tous deux, l’émission ne sera pas reconduite à la rentrée et ce pas avant un bon debrief de notre ligne éditoriale », a-t-elle envoyé selon l’hebdomadaire français.
« À travers cet accord, il s’agissait d’explorer la possibilité d’un dialogue, d’un vivre-ensemble entre Israéliens et Marocains, entre juifs et arabes, c’est tout de même important ! Quels étaient les risques ? Contrarier une dizaine d’antisémites ? Sommes-nous, nous-mêmes, victimes d’antisémitisme par ricochet ou d’une ingérence étrangère algérienne pour éviter de parler du Maroc ? » s’interroge l’animatrice.
Par ailleurs, c’est le porte-parole de l’ambassade qui a lui-même contacté Beur FM afin d’organiser une spéciale qui aurait été susceptible d’intéresser les auditeurs franco-marocains notamment. « J’ai proposé de venir parler de cet accord mais aussi d’autres questions s’ils le souhaitaient, notamment du conflit israélo-palestinien » a-t-il confié à Marianne.
Réaction des deux animateurs et de la direction de Beur FM
Pour Malik Yettou, « La directrice a cédé aux pressions de cette minorité agissante sur les réseaux sociaux qui se revendique antisioniste mais qui, en réalité, est antisémite ». Qui selon lui, « en général on ne parle d’Israël qu’à travers le prisme du conflit avec les Palestiniens. « Sur les réseaux sociaux, je me suis fait menacer et traiter de“bougnoul de service”. Apparemment, ça ne choque pas les antiracistes… On a été, en plus, attaqués par une autre radio communautaire » a-t-il déploré.
Et de s’offusquer « Je ne supporte plus cette indignation sélective. On parle toujours de la Palestine mais organise-t-on des manifestations pour les Rohinghas ou les Ouighours ? Ceux qui nous insultent veulent alimenter une haine contre la communauté juive avec cet éternel bruit de fond antisioniste. On peut penser ce qu’on veut du conflit mais je suis Français et je refuse qu’on l’importe dans mon pays ».
Quant à Rose Ameziane, elle a déclaré : « Cette radio se dit apolitique et laïque, elle prétend prôner le vivre-ensemble. Or les quartiers ne sont pas monolithiques mais on les aborde avec un logiciel, des frilosités et des détestations qui datent des années 1980. On ne peut pas dire en même temps qu’il n’y a pas assez de personnes représentatives de la diversité sur les plateaux et interdire l’antenne à cette même diversité sur sa propre antenne. C’est une trahison idéologique et humaine vis-à-vis des auditeurs ». Et de préciser : « Nous ne voulons pas jeter l’anathème sur des salariés ou des animateurs qui font du bon travail mais sur une partie de la direction qui mène une ligne éditoriale pour le moins contestable. »
Quant à Djima Kettane, directrice de Beur FM, elle conteste la version des deux animateurs : « Il n’y a eu aucune réaction de la direction après cette rencontre. Aucune sanction. Les intervenants sont libres de rencontrer qui ils veulent » a-t-elle déclaré. Et d’ajouter : « On aurait préféré que ce soit un journaliste qui se déplace dans une ambassade et non des animateurs. D’ailleurs, une émission devrait avoir lieu sur ce thème. Elle se déroulera en direct, ce qui n’était pas le cas pour « L’Actu autrement ». On privilégie un dialogue sans filtre avec les auditeurs ».
Toutefois, l’émission sur la normalisation Israël-Maroc n’a jamais eu lieu et l’émission « L’actu autrement » a repris le 15 janvier selon Marianne. L’émission serait déplacée à samedi matin au-lieu de vendredi 17 h. « On a compris qu’on gênait. Parce qu’on refuse de pratiquer l’entre-soi. Pourquoi devrait-on être unis, en fonction de nos origines, par le même mode de pensée ? » s’interroge Rose Ameziane. Pour Malik Yettou, « Ces radios communautaires sont obligées d’être propalestiniennes alors que dans la communauté maghrébine, tout le monde n’a pas la même opinion sur le conflit ».