L’islamologue progressiste et libre penseur, Saïd Djabelkhir, est poursuivi en justice…par un enseignant universitaire de Sidi-Bel-Abbes pour « atteinte à la religion, au saint Coran, au Prophète. » Ainsi donc, au lieu de chercher à contredire les thèses de Saïd Djabelkhir, ce monsieur s’arroge le droit de le trainer devant les tribunaux, sachant bien que la justice s’enhardit à bâillonner la pensée critique.
S’agit-il d’une cabale orchestrée par le pouvoir lui-même ? Hypothèse plausible. Car, tout le monde savait que l’éminent islamologue a toujours constitué une cible privilégiée pour ce dernier pour avoir pu déconstruire à travers ses conférences érudites et autres interventions publiques, l’utilisation de la religion comme moyen de légitimation de lois rétrogrades et liberticides.
Cette cabale revêt le vieil habit d’une inquisition religieuse et coïncide avec la récente et hideuse campagne de diabolisation, de dénigrement et d’emprisonnement de militants et intellectuels laïcs, progressistes, à l’instar du jeune écrivain Anouar Rahmani (qui a déjà fait l’objet d’une fetwa prononcée par l’imam de sa propre ville Cherchell), de Yacine Mébarki (Khenchela), Walid Kechida (Sétif), la condamnation des musulmans Ahmadis (Tizi-Ouzou), l’autre condamnation de chrétiens (Aokas, Amizour…), la fermeture d’églises, la fermeture des commerces des boissons alcoolisées…La liste est longue et renseigne sur les intentions claires du régime d’instaurer un ordre religieux rigoriste, intolérant, obscurantiste et violent.
Au-delà du soutien qu’on doit apporter à Djabelkhir (son procès fixé le 25 février 2021 au tribunal de Sidi M’hamed, Alger), il y a lieu aussi de mener une grande campagne de dénonciation du projet de salafisation de la société. Les enseignants universitaires progressistes, leurs collègues de l’Education nationale, les écrivains, la frange de la société civile anti-intégriste, devraient se mettre en première ligne dans ce combat pour le triomphe de la pensée rationnelle, de l’esprit de tolérance religieuse, du respect du droit à la différence, du respect de la liberté de religion et de conscience…
A vrai dire, il nous faudra reconnaître qu’on s’est désinvestit volontairement de ce combat par défaitisme et manque de foi envers les idées progressistes. On a trop facilité la tâche au pouvoir, aux intégristes, aux conservateurs, aux gérontocrates, aux philistins dans leur immonde projet de fanatisation des esprits. Le pouvoir sait pertinemment qu’une société retardataire ne peut pas réussir sa révolution. L’idée perfide que le changement viendra seulement après la chute du système est sciemment entretenue pour empêcher ou dissuader des initiatives abordant dans un franc débat les questions sociétales. Cette conception biscornue propagée dans le mouvement de protestation né le 16-22 février 2019 a étouffé les idées révolutionnaires de premiers mois et marginalisé les progressistes, notamment les femmes, invitées sévèrement par les « promeneurs du vendredi » à bien respecter l’ordre moral qui les asservit.
Changeons d’abord nous-mêmes si nous voulons que l’effort et le sacrifice accomplis dans le sillage du mouvement du 16-22 février aillent dans le sens de notre liberté. Tous les secteurs doivent être investis par des militants de la liberté et du progrès (école, université, villages, quartiers, structures culturelles…). Se contenter uniquement de réactions sporadiques, conjoncturelles, ne suffit plus à créer une dynamique de réappropriation de notre liberté. A la société de se prendre en charge elle-même. En s’organisant et en agissant par elle-même, la société rend le citoyen actif et devient l’artisan de son changement et acteur de son histoire.
Kader Sadji. Bej. Lun. 8 février 2021.