« La force est employée à la turque : les colonnes de réguliers, Turcs et Couloughlis, usent du sabre, du fusil et du canon, brûlent récoltes et villages, s’emparent d’otages, empalent et décapitent, exposant par dizaines les têtes coupées. L’usage de la force démontre la résolution du maître et l’irréversibilité de la situation1 ».
De l’eau semble avoir coulé sous les ponts depuis 1960, année où la Turquie a voté contre l’indépendance algérienne à l’ONU2 (seul pays musulman dans ce cas).
Instrument du soft power du Sultan rouge Recep Tayyip Erdoğan, la campagne internationale de néo-ottomanisme n’est en effet pas sans viser durement l’Algérie.
L’offensive se décline par divers biais : culturel (productions télévisuelles inondant les chaines arabes), politique (soutien au mouvement intégriste Rachad), mais aussi académique. Ce dernier point retiendra notre attention.
Une vaste campagne de révisionnisme historique tente ainsi depuis quelques temps de redorer l’histoire de la Régence turque d’Alger, aux fins de transformer cette sombre période en une époque faste et glorieuse, fondatrice d’un proto-État algérien.
Rétablissons sans plus tarder quelques vérités élémentaires :
- La Kabylie n’a jamais été sous souveraineté ottomane. La lutte contre les pirates turcs et leurs alliés fut même le leitmotiv de toute la politique extérieure des royaumes de Koukou et d’At Abbes pendant 3 siècles, mobilisant une part considérable de l’énergie nationale et freinant le développement économique kabyle.
- D’une manière plus générale, la Régence d’Alger ne se confond d’aucune manière avec l’actuelle Algérie. Ni les Aurès, ni la Sétifienne, ni le Sud n’étaient sous domination turque. Oran resta une ville espagnole de 1509 à 1792.
- Dans les territoires qu’ils contrôlaient, les turcs se livrèrent contre les indigènes à des exactions d’une violence inouïe. Toute ville se rebellant contre l’autorité janissaire était noyée dans le sang (Tlemcen, Mostaganem, Jijel…connaîtront tour à tour ce sort). Les prisonniers étaient souvent condamnés au supplice du canon (mis à mort par un tir en étant attachés au bout de l’engin). Le rapt de femmes pour alimenter les nombreux harems de Constantinople perdurera jusqu’en 1830.
- Pratiquant une politique de piraterie en Méditerranée et de rafle des chrétiens des côtes latine, la Régence a largement isolé internationalement la Berbérie toute entière, empêchant une pénétration des idées modernes dans cette région de l’Occident, et provoquant ainsi directement le retard technique dont découlera les 132 ans d’occupation française.
- La Régence pratiquait une ségrégation raciale poussée à son paroxysme. Les enfants de turcs nés de femmes arabes étaient désignés sous le terme couloughlis, littéralement « fils de l’esclave », expression indiquant clairement l’estime dans lequel étaient tenus les algériens. Ces descendants, pourtant légitimes, n’étaient en aucun cas considérés comme turcs, a contrario des règles patriarcales et patrilinéaires tant du droit musulman que de la tradition ethnique turque.
Malgré ce mépris, les turcs trouvèrent chez certains arabes soutiens et relais. A citer le tristement célèbre Hamidou, seul raïs (capitaine de course) d’origine autochtone, qui a pu se hisser jusqu’aux plus hauts rangs de la piraterie grâce aux exactions qu’il n’hésitera pas à commettre contre ses frères, au service de ses maîtres anatoliens.
Ainsi et pendant plus de 3 siècles, la Turquie exerça en Algérie une politique de type colonial, largement plus violente que celle de la France. Mais les mirages de la Oumma, les fantasmes d’une adhésion volontaire et harmonieuse de la masse musulmane au dernier Califat de l’histoire, semblent emporter les esprits niais de l’Algérie Nouvelle.
Confronté au même péril que ses ancêtres, le Kabyle d’aujourd’hui se voit pour sa part chargé du même devoir : tenir le barbare asiatique hors de ses terres.
Références
1 Martel, A., « Souveraineté et autorité ottomane : la Province de Tripoli du Couchant (1835-1918) ». Université Paul Valéry. Montpellier, en ligne.
2 Jusqu’en 1959, les combattants de l’ALN étaient désignés sous le terme rebelles par la radio turque. De 1955 à 1962, tous les votes diplomatiques turcs furent invariablement favorables à la France et opposés à une souveraineté algérienne.
Γilas Frawcen