Le réalisateur Menad Embarek a mis en ligne, pour la première fois, son film documentaire « les Balles de la Haine, Autopsie de la tragédie de 2001 » sur le printemps noir kabyle, ce dimanche 18 avril.
Il s’agit d’un reportage de 26 minutes tourné en plein cœur des événements qui ont secoué la Kabylie. Témoignages troublants des familles des victimes et des témoins qui font part de détails qui donnent des sueurs froides quant à la barbarie dont a fait preuve la gendarmerie algérienne.
Le choix du 20e anniversaire du printemps noir pour diffuser ce film est notamment dû à ce besoin de justice éprouvé par le réalisateur : « 20 ans après, aucun responsable n’a été jugé ou condamné. Les parents des victimes ont besoin de justice pour aller de l’avant ! » a-t-il déclaré.
« Ce film a été fait dans l’urgence, car il y avait un huis clos terrible autour de tout ce qui se passait. A l’époque, la photographie ou la vidéo n’étaient pas aussi démocratisées. Il n y avait pas de téléphone avec caméra ou quoique ce soit. J’avais donc travaillé avec le VHS. C’est tout ce que j’avais comme moyen », nous a confié l’acteur et réalisateur. Et de poursuivre : « C’était mon premier film, je me suis donc impliqué pour montrer au reste du monde ce qui se passait en Kabylie ».
Menad Mebarek se sentait très impliqué dans la tragédie qui a secoué les quatre coins de la Kabylie. Il estimait qu’il était important de « garder un matériau de mémoire et de témoignage pour que la vérité soit connue ». Il était au cœur des événements et était parfois mené à assister à des scènes des plus effroyables.
Des moments tragiques
« J’étais plongé avec ma caméra au beau milieu des émeutes et puis j’allais voir les parents des victimes. Chaque détail était marquant ! Mais le jour où j’ai vraiment craqué, c’était lorsque j’ai assisté aux pleures de femmes après la mort de trois jeunes lors de la marche du 14 juin. J’étais effondré en larmes derrière ma caméra » se rappelle le réalisateur.
Et d’ajouter : « Je me souviens, c’était le jeune Massinissa Becha qui était décédé, avec Toufik Naamane et un troisième. Je suis arrivé sur les lieux 15 minutes plus tard après la tragédie, car j’avais couvert une partie de la marche ».
En effet, lors de la marche du 14 juin, huit jeunes ont perdu la vie, écrasés par des voitures de gendarmerie ou tués à bout portant. 130 personnes étaient portées disparues ce jour-là. « C’était une marche historique mais qui était aussi marquée par une violence inouïe. Moi-même j’ai failli y laisser ma vie ce jour-là » nous a-t-il raconté.
Un devoir de mémoire
Celui qui a interprété le rôle de Si Moh Oumhand dans « le damné du destin » a également été marqué par la lucidité des parents des victimes. « Une autre chose qui m’avait marqué, c’était les parents qui étaient restés dignes. Personne ne réclamait vengeance. Vous imaginez, des parents à qui des enfants à fleur d’âge ont été arrachés et qui réclamaient la justice mais pas la violence » a-t-il témoigné.
L’auteur de « concerto pour deux mémoires » sentait qu’au moment des faits, il devait collecter les témoignages car il savait que les témoins allaient « parler sans retenue ni peur ». Il craignait qu’avec le temps, les langues allaient commencer à se nouer et qu’il y ait aussi des manipulations.
« J’avais remarqué trois éléments lors de ce reportage. Le premier est que les victimes assassinées étaient loin des brigades, il y avait des gens qu’on n’a pas laissé emmener aux hôpitaux et il y’avait des gens qu’on a achevé alors qu’ils étaient par terre » a-t-il déclaré. Des actes qu’il considère comme « prémédités et criminels ».
En effet, lors de l’assassinat de Nadia Nait Abba, qui a été touchée par des balles à Michelet alors qu’elle était chez elle sur son balcon, les gendarmes algériens ont refusé de laisser passer les manifestants qui voulaient la transporter à l’hôpital. Des témoins ont également affirmé qu’à Larbaâ Nath Irathen, le chef de la brigade de gendarmerie a exécuté un manifestant alors qu’il était à terre.