L’histoire du chef Aissa Benaidjer : une ascension « sans papiers » vers le Palace Royal Monceau

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Il s’appelle Aissa Benaidjer, il est âgé de 36 ans et il est chef cuisinier dans l’un des plus grands palaces français. Depuis plusieurs jours, une photo de lui avec l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, a été relayée sur les réseaux sociaux. Nous nous sommes alors intéressés à son profil.

Son cheminement est tout simplement incroyable. Parti de sa Kabylie natale avec son petit bagage de cuisinier, il a rejoint la France où il a longtemps vécu clandestin. Le plus frappant dans son histoire c’est que c’est dans cette situation de « sans papier » qu’il a réussi à intégrer différentes brigades de cuisine avant de devenir chef cuisinier de restaurant réputés à Paris. Le sacre a sans doute été de rejoindre le Palace Royal Monceau, dont les clients sont souvent de grands hommes d’affaires, des politiques et autres célébrités. Retour donc sur le parcours inspirant de Aïssa, appelé Jésus (équivalent de Aïssa en latin) par ses collègues.

Aissa est né en 1985 au village El Koumi, dans la localité d’Amizour. Il est cadet d’une fratrie de quatre garçons. Il a grandi au sein d’une famille modeste. Durant son enfance, il a été berger et a travaillé la terre, « comme tous les enfants kabyles de la montagne », nous dira-t-il.

Enfant, le natif d’Amizour a fréquenté l’école primaire de son village, plus le CEM Kateb Yacine avant de rejoindre le lycée. Toutefois, après quelques mois seulement en secondaire, il a décidé de quitter l’école alors qu’il avait seulement 15 ans. « Je n’étais pas très fort dans mes études, j’étais un peu frivole, du coup je ne m’y intéressais pas vraiment », nous a-t-il confié.

Ses premiers pas dans la cuisine

Après avoir passé deux années à se chercher, Aissa a décidé, à l’âge de 17 ans, de se reprendre en main et d’opter pour une formation de cuisinier. Son grand-père, Dda Mohamed, a décidé donc de lui payer une formation d’une année dans une école privée à Tizi Wezzu{Tizi Ouzou}. « Je n’étais pas du tout convaincu de l’instruction que j’ai reçue. D’ailleurs, je déplore que chez nous, l’Etat ne donne pas d’importance au secteur de l’hôtellerie. Ils laissent des écoles privées proposer des formations chères et qui ne nous apprennent pas grand chose ! » a-t-il regretté.

Déterminé à suivre sa voie, le jeune homme a alors décidé d’opter pour un CAP en cuisine à l’Institut National D’hôtellerie Et De Tourisme à Tizi Ouzou (INTHT). Une formation d’une durée de 15 mois. « C’est grâce à monsieur Kisma et monsieur Chaba, mes enseignants, que j’ai pu avoir une formation de qualité », témoigne-t-il.

A la fin de sa formation, en 2006, alors qu’il était âgé de 21 ans, le jeune cuisinier a décroché un job au bistrot « La Pyramide » de Vgayet{Béjaïa}. Il y a travaillé durant 08 mois tout en cherchant à approfondir sa formation en cuisine. C’est ainsi qu’il a réussi à dénicher une formation de CMPC en comptabilité des achats de l’hôtellerie à l’ITHT de Tizi Wezzu, en partenariat avec l’hôtel El Aurassi d’Alger.

 « C’est à ce moment là que j’ai vraiment commencé à me plaire dans la restauration. J’ai travaillé un peu partout. Chaque mois, je partais en stage pratique, à l’hôtel Ziani Tlemcen, Chilia à Batna, Adghir Bordj El Kifan, Le Surkouf et Turquoise de Ain Taia, hôtel Safri Mazafran ou encore le Sofitel »n se rappelle-t-il.

Malheureusement, durant cette période, le grand père de l’enfant d’El Koumi est tombé malade. Il a donc décidé d’arrêter le travail pour rester à ses chevets. Quelques mois plus tard, Dda Mohamed est décédé et Aissa a été pris d’un profond chagrin.

Le départ en France et l’ascension « sans papiers »

Quelques temps après, en 2010, il a décidé d’aller de l’autre côté de la mer. Il s’est donc envolé vers l’Espagne à l’âge de 23 ans. Toutefois, le Royaume espagnol n’était pour lui qu’une escale vers sa destination principale, la France. « Je suis allé vers des connaissances, des amis. Je n’avais pas de papiers mais j’avais toujours su me débrouiller, je n’avais pas peur » nous raconte-il.

Quelques mois plus tard, le cuisinier a réussi à dénicher un travail, au noir. En effet, en 2011, il a travaillé aux bistros Le village Michel, Le parc avenue, Porte la ville, L’olivier, Le Fouquet’s ou encore l’Ambroisie.

En 2016, il a décroché un CDI comme chef cuisine le soir, de 18h à 1h du matin chez le Petit Carillon, détenu par Athmane Kimache, un patron originaire d’Azazga. Il s’agit d’un bar restaurant connu à Paris. « Je faisais de la cuisine de bistrot, de la cuisine traditionnelle et de la cuisine gastronomique » nous a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « J’ai pu ramener un plus à la maison. En 2018, je suis devenu le grand chef du Petit Carillon, j’y travaillais également de jour ».

Durant la même année, le cuisinier a voulu évoluer, guidé par cette envie de toujours vouloir apprendre plus, sans jamais compter ses heures. Il a pu passer un concours professionnel pour devenir chef cuisinier. « C’est un concours qui se déroule tous les cinq ans et qui permet aux gens qui ont des compétences mais qui n’ont pas de diplômes d’avoir une carte professionnelle. Toutefois, moi je l’ai passé car je voulais connaître mon niveau », nous a-t-il raconté. Il a été finalement classé 2e dans la pratique avec une note de 8/10.

Au Palace Royal Monceau !

Cela lui a donné l’opportunité de choisir entre cinq palaces parisiens pour y travailler, il a donc opté pour le luxueux Royal Monceau, au 8e arrondissement de Paris. Un établissement 5 étoiles qui est classé dans la catégorie très fermée de « Palace ».

Dans cet établissement, qui propose un large panel de plats gastronomiques à ses clients, Aissa est chef de partie. « je fais des plats chauds, froids, de la rôtisserie » nous dira-t-il modestement de ses œuvres d’art culinaires. « Un jour, alors que j’étais dans les cuisines, le maître d’hôtel est venu me chercher, j’avais cru au début avoir fait une gaffe, finalement non, c’était Nicolas Sarkozy qui avait mangé un plat que j’avais fait et il tenait à me féliciter », nous a-t-il confié.

Depuis ce jour-là, l’ancien président français demandait à chaque fois au maître d’hôtel que ce soit Aissa qui lui prépare ses commandes. Il était également sollicité pour des soirées privées qu’il assurait avec son équipe au domicile de la famille Sarkozy. Il a également assuré plusieurs soirées pour de célèbres personnalités, une expérience qu’il souhaite faire partager à travers sa page Facebook très prochainement.

Ce n’est qu’en 2019 que Aïssa a réussi à régulariser sa situation après neuf ans de vie de sans-papiers. Il est donc reparti voir ses parents vers le mois d’octobre. A son retour, la France, à l’instar des autres pays du monde, était plongée dans une crise sanitaire due à la pandémie de la covid-19. Il attend avec impatience la reprise du 15 mai pour se lancer dans une d’autres aventures.