Beaucoup de faux progressistes ont investi dès le début le mouvement berbère. Ils ont petit à petit réintroduit la morale et la religion dans les milieux culturels. Ils n’ont pas tardé à tuer le petit élan révolutionnaire que la génération Vava Inouva a introduit dans le paysage culturel kabyle. Ils ont même réussi à « hallaliser » cette génération.
Ces faux progressistes sont tous devenus des animateurs et des responsables culturels pour la plupart. Ils occupent tous les médias Kabyles. Ils sont partout. Ils sont toujours là. Ils squattent l’antenne pour nous imposer leurs goûts et leurs couleurs. Ils nous passent et invitent toujours les mêmes têtes, font toujours les mêmes commentaires, en deux mots, ils font depuis bientôt un demi-siècle la promotion de leur monde et de leur génération.
Dès qu’une voix nouvelle émerge, ils la récupèrent et la placent dans le monde et le temps de leur génération. Ils la brisent dans les reprises, les vieux styles moisis et la paresse artistique. Ne compose pas, mon petit, kumpuzin kullec imezwura/les anciens ont tout dit et tout fait. Contente-toi de répéter, à l’image des récitants du coran.
Ces conservateurs précoces préfèrent Lfen à l’Art. L’Art d l3Art/l’art c’est la perversion, c’est la création. L’art véhicule du neuf. Le neuf véhicule la mort… La mort de l’ancien monde, pour ne pas dire le leur. Ils préfèrent parler de lfen. Lfen, c’est autre chose, c’est la récitation, la célébration du vieux monde, la continuité de leur jeunesse, de leur génie artistique sans pareil… Tu dois chanter comme eux, comme ceux de leur génération, si tu veux jouer dans leur cour, tu dois rendre hommage aux anciens. On ne veut pas de ta musique ici. Chante-nous les chansons de notre époque si tu veux exister le temps d’un festival ou d’une émission.
La culture kabyle est devenue la propriété d’une génération qui refuse de passer le relais, de mettre en scène de nouvelles têtes et de nouveaux talents, au point que nos jeunes artistes ne composent plus, ne créent plus. Ils les obligent à reprendre du vieux. La chanson n’est plus un artifice magique, n’est plus un moment de surprise, n’est plus un feu d’artifice, mais juste une triste, parfaite et éphémère performance vocale qui rend hommage à un monde mort et enterré. C’est Alhan wa Chabab version « laïque » du concours du muezzin.
A force de chérir le passé, on tue l’avenir. À force de regarder en arrière, on se trompe de chemin. À force de penser à nos aînés, on oublie nos enfants…
Faisons de l’art, abandonnons Lfen aux conservateurs précoces, aux résignés, aux nostalgiques et à ceux qui chantent assis. Faisons de la vraie scène, chantons dans les rues, sortons de lqaâdat et des soirées de frustrés.