D’Oued Smar à Tawrirt Moussa : retour sur un 25 juin 1998 inoubliable (par Mohand Belkacem)

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Nous venions tout juste de terminer les derniers examens de l’année à l’Institut National d’Informatique d’Oued Smar, El Herrach à Alger. Nous attendions les résultats pour voir s’il y’a lieu de passer les examens de synthèse. Je prends mes bagages et je rentre à la cité.

Devant la cité, je m’attabla pour prendre un café. Salah, étudiant à l’EPEAU me rapporte l’information. J’étais sidéré.

L’information nous arrive dans l’après-midi de cette journée fatidique du 25 Juin 1998. Il faisait chaud et humide. La décharge d’Oued Smar nous suffoquait.

Est-ce vrai ? N’est-il pas encore une énième machination du pouvoir et des islamistes ? Impossible de vérifier dans l’immédiat, il fallait attendre encore.

Les camarades militants du RCD me rejoignirent. Quelques temps après arrivèrent les militants du FFS, les rescapés de l’ex PAGS et ceux du PT. Tout le monde confirma l’événement.

La cité Bouraoui Ammar est tout de suite quadrillée par la police politique et la garde républicaine. Les islamistes se faisaient inaperçus car les kabyles commencent à se regrouper. D’autres étudiants des grandes écoles d’El harrach, de la faculté des sciences économiques d’El Kherrouba et de l’université de Bab Ezzouar nous rejoignent. Il fallait entrer pour éviter tout débordement à l’extérieur de la cité.

Il était 17h30. L’information était désormais confirmée. Nous nous procurions une sono et une rallonge. Les albums de Matoub Lounes ont vite été réunis. Nous prenons position devant le pavillon M. Le Câble a été tiré de la Chambre M 22 qui faisait office de rencontres pour débats politiques entre militants de différentes obédiences laïques, débats autour de lectures et soirées musicales.

Sans aucune autorisation, l’hommage débuta en plein air. L’ordre est reçu de ne pas l’empêcher. La police politique surveille. Les islamistes avaient déserté tôt les lieux. Ce soir-là, ils avaient rejoint leurs chambres très tôt. Même l’habituel encombrement au restaurant universitaire n’a pas eu lieu ce jour-là, pourtant il y avait plus d’étudiants que d’habitude.

Quelques mois avant, à la sortie du dernier Album du rebelle, les deux disquaires de la ville d’EL Harrach n’arrivaient pas à satisfaire la demande. Je me rappelle qu’au jour de sa sortie, une chaîne interminable s’est formée pour l’acquérir. Il a fallu revenir encore et encore pour l’avoir.

Durant la soirée de l’hommage, des étudiants passaient à tour de rôle pour dire un mot, déclamer un poème, chanter une chanson ou passer un message politique. A l’exception des Kabyles, Il y avait quelques étudiants Mozabites qui nous ont rejoint tard dans la soirée mais ils ne voulaient pas prendre parole.

Pour ma part, j’ai déclamé un de mes longs poèmes dont voici un extrait :

A Dda Lmulud At Mɛemmeṛ
Tidet yiwwas ad tt-nẓer
Am ass-a ma ɣezzif leɛmeṛ
Ad yemlal Wawras d Ǧerǧeṛ
Tiɣri-w ɣer Ccenwa d Uheggaṛ
Ay atmaten d lawan n ttaṛ
Ayen ur gminen ad iṣar
Ay icenga wexxret aḍar
Tiɣri-w ɣur-kent a tuddar
Tiɣri-w ɣur-wen ay idurar
Yya-w rset-d s annar
Ad d-nbeggen ayen nezmer
Dayen aṭas i nehdeṛ
D lawan tura ad nekker
Ass-a ad d-nefḍeḥ lesrar
Nwiden txenqem s umrar

La soirée s’est déroulée jusqu’à 5 heures du matin dans le calme mais avec beaucoup de colère, de tristesse et de larmes. L’information sur l’enterrement n’a pas parvenu. Fallait-il rester à Alger ? Nous espérions l’avoir pour réserver des bus universitaires et nous acheminer vers At Dwala.

Le lendemain, on nous informe que l’enterrement n’aura pas lieu de sitôt avant que l’autopsie ne soit terminée. Des échos d’émeutes nous parviennent de Tizi Oouzou.

Nous avons tout de même décidé de rester à Alger et attendre la confirmation sur le jour de l’enterrement. L’hommage se poursuivra le vendredi et l’atmosphère devient de plus en plus insupportable avec les provocations des militants de Hamas de Neḥnaḥ mais c’est sans compter sur la police politique qui grouillât et surveillait tout mouvement. Nous restions donc jusqu’au dimanche matin.

Nous prenions le bus allant à Tizi ouzou. Le voyage était des plus long. Le bus nous déposa sur la route allant à At Dwala au lieu de son arrêt habituel au centre-ville. La journée était chaude.

A l’arrivée, il n’était que 10h00 du Matin que la chaleur nous suffoquait déjà. C’était une journée très chaude. Avec mon sac à dos, il n’était pas envisageable que je parte à pied à Taourirt.

Un camion passe et me propose de monter. Je monte dans la benne où une vingtaine de jeunes avaient déjà pris place assis sur des cartons. Je prends place et discute avec eux. Il s’avère que chacun est venu d’un village différent. Le chauffeur les avait ramassés sur la route. En arrivant à Tala Bounane, le chauffeur s’arrête comme beaucoup d’autres passagers pour rendre hommage au rebelle. Nous descendions aussi et prenions pause.

Quelques instants, nous reprenions la route. Comme les gens affluaient de partout. Le camion ne pouvait pas atteindre La ville. Nous descendions et continuons la route vers Taourirt à Pied.

Des milliers de personnes affluaient de partout. Des femmes, des vielles, des vieux, des enfants.

En arrivant sur les lieux. J’aperçois quelques personnalités politiques du haut du balcon. Un hélicoptère sillonnait le ciel. La garde communale tirait des balles dans le ciel. Des femmes lancent des youyous et les citoyens crient au pouvoir assassin.

La cérémonie d’adieu était une éternité. Mais sans compter sur la solidarité des habitants d’At Dwala qui nous ont servi de l’eau et de la nourriture. Je suis resté jusqu’à une heure tardive. A mon retour, point de transport. J’ai fait le chemin à pied d’At Dwala à Ibetrunen, une trentaine ou plus de kilomètres, portant un sac à dos, épuisé, assoiffé et affamé. Ça valait la peine d’assister à un événement oh combien très triste et démoralisant.

Repose en Paix Lounes.

Mohand Belkacem