EXCLUSIF. Ferhat Mehenni sur la diplomatie Kabyle : « nous sommes prêts » (interview)

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Ferhat Mehenni a consacré deux entretiens à la presse marocaine dans lesquels il a demandé l’ouverture d’une représentation diplomatique Kabyle au Maroc. Si plusieurs voix marocaines se sont levées pour soutenir la demande, en Algérie, en plus du black out médiatique, deux appels à la liquidation physique du leader Kabyle ont retenti.

C’est dans ce contexte que nous avons pris attache avec le président de l’Anavad afin de mieux cerner sa vision et sa stratégie pour la conquête de la scène internationale.

VAVA innova : Quelle serait l’utilité d’avoir une représentation diplomatique de la Kabylie au Maroc ?

Ferhat Mehenni : Une représentation diplomatique d’un peuple colonisé, comme le peuple kabyle, est un début de sa libération. C’est en soi, la reconnaissance de sa légitimité à devenir indépendant. Il a enfin un pied sur la scène internationale où sa cause accède autant à la visibilité qu’à l’audience. L’ouverture d’une représentation diplomatique est un geste de solidarité très fort du pays hôte avec le peuple en lutte pour sa liberté. 

Est-ce que cela ne serait pas placer la charrue avant les bœufs, à savoir que tous les Kabyles n’adhèrent pas encore à l’indépendance de la Kabylie ?

Au-delà du fait que nous n’avons pas à attendre que « tous les Kabyles », comme vous le dites, soient pour l’indépendance, la guerre d’Algérie est là pour le prouver que cette question est, de nos jours, largement dépassée. La guerre d’Algérie qui, il faut le souligner, est en majorité l’œuvre des Kabyles qui y ont laissé beaucoup de forces.

Après tant d’années de démonstrations de force à travers les marches et les boycotts électoraux coloniaux, l’inquiétude est complètement levée. Nous sommes plutôt en retard par rapport aux attentes de l’écrasante majorité des Kabyles qui, à deux reprises en moins d’un an nous a administré la preuve magistrale de sa détermination à vivre dans une Kabylie indépendante : les présidentielles du 12/12/2019 et la révision constitutionnelle du 01/11/2020. Le colonialisme et la domination algérienne sur la Kabylie lui sont insupportables. Le Printemps Noir de 2001 est passé par là, lorsque l’Algérie tua sans autre raison que la haine du Kabyle, 150 des nôtres et en handicapa à vie 1200 autres.

Si vous deviez rencontrer le roi du Maroc, que lui diriez-vous ?

Je lui exprimerais les sentiments de reconnaissance éternelle du peuple kabyle pour le soutien historique qu’il nous apporte.

Il y en a qui disent que même si le Maroc reconnaît l’Anavad, ce n’est pas parce que le Maroc aime la Kabylie mais juste pour contrer l’Algérie et le Polisario.

En diplomatie, il n’est jamais question d’amour. Tout pays, quel qu’il soit, agit en fonction de ses propres préoccupations. La diplomatie est l’art de faire converger des intérêts, y compris quand ceux-ci semblent inconciliables. Mais quand bien même ce que vous dites serait vrai, où est le problème pour nous que la Kabylie soit reconnue par principe ou par intérêt ? Seul le résultat compte.

Est-ce vrai que le Sahara occidental n’a pas pris part à la coupe du monde des nations sans Etat (CONIFA) parce que la Kabylie y était représentée ?

L’Algérie avait fait admettre le Polisario comme nouveau membre de la CONIFA en vue de la Coupe du monde qui devait se tenir au départ au Somaliland, puis en Serbie. La pandémie du coronavirus a tout fait reporter. Toutefois je pense que ce retrait du Polisario de cette édition de la coupe du monde était vrai. La CONIFA n’avait pas communiqué sur l’affaire mais je salue sa fermeté face au chantage exercé par le Polisario de n’y participer que si la Kabylie en était exclue.

L’Anavad paraît en phase avec les Emirats Arabes Unis qui semblent privilégier des relations avec le Maroc et Israël, tout en s’éloignant de l’Algérie. Seriez-vous prêts à développer vos relations avec les Emirats Arabes Unis ?

Nous sommes surtout cohérents dans notre démarche. Nous sommes prêts à développer des relations diplomatiques avec tous les Etats du monde entier. Les pays arabes qui acceptent de nous rencontrer sont à saluer. Nous sommes prêts à échanger en toute amitié avec eux. 

Votre visite en Israël en 2011 avait défrayé la chronique. Aujourd’hui, les pays arabes semblent faire la course à la normalisation des relations avec l’État juif. 

Ceux qui normalisent leurs relations avec Israël décrispent enfin leur diplomatie pour le bonheur de leurs peuples. Ils préparent enfin un avenir de paix pour leurs enfants.

Said Sadi a récemment assuré que la Kabylie est directement visée par le Qatar et la Turquie par un projet d’islamisation, d’aliénation et de domestication.

L’Algérie coloniale n’a pas attendu l’arrivée de la Turquie et du Qatar pour entreprendre de salafiser la Kabylie. Du temps où Said Sadi était l’ami de Bouteflika, la salafisation battait déjà son plein. La seule force qui préserve la Kabylie de l’islamisme est celle de l’espoir d’indépendance de la Kabylie, tant on ne peut faire face aux menaces qui ciblent le peuple kabyle que dans une Kabylie indépendante.

Globalement, on a l’impression que toute action diplomatique de votre part est vue par d’aucuns comme une manipulation de l’étranger.

Nous ne nous attendions pas à recevoir des fleurs de leur part ! Nos ennemis, voire nos adversaires, peuvent toujours nous accuser de tout ce qu’ils veulent. Nous déstabilisons leurs intérêts au profit de ceux du peuple kabyle. Nous, nous savons ce que nous faisons et la portée de nos actes. Les jugements négatifs et condamnations de notre diplomatie ne viennent que de ceux dont l’objectif est de garder la Kabylie captive, dominée et détruite. La caravane diplomatique kabyle, en passant, entend toujours des voix inamicales dont elle refuse, pour le moment, de s’occuper.

Deux « journalistes » algériens ont fait parler d’eux récemment. Omar Touati a appelé à ton assassinat et Bensedira a parlé de ton prochain assassinat par les marocains.

Tous les deux sont des relais du pouvoir. Il y a donc sûrement un plan de ma liquidation physique. L’un l’assume ouvertement pour le compte des militaires et l’autre veut essuyer le couteau sur le dos des Marocains.
La tentative d’agression dont j’ai été victime le 06 septembre dernier en était un essai avorté.

Pas plus que l’assassinat de mon fils Ameziane, en 2004, n’a eu d’effet sur ma détermination, pas plus que mon propre assassinat n’arrêtera la Kabylie d’aller vers son indépendance. Bien au contraire il va le renforcer et le galvaniser. Même mort, je resterai éternellement debout.
Je salue toutes celles et tous ceux qui m’ont apporté leur soutien et dénoncé ces appels à m’occire.

Honte à cette sous-classe politique algérienne et ses organismes des droits de l’homme qui se taisent par complaisance.

Enfin, je tiens à présenter mes condoléances à la famille du petit Yanis, dont le corps a été finalement retrouvé sans vie. Sa disparition a ému toute la Kabylie et nous sommes tous bouleversés par cette issue tragique.

Propos recueillis par Muyyud.