Voici Tamacahut n Vava Inuva, le conte qui a inspiré la célèbre chanson

D tagi i d tamacahut n Vava Inuva, tinn i seg-d-tekka tezlit ittwassnen

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Le conte de Vava Inuva a eu la chance de traverser les frontières et de d’atteindre d’autres cultures du monde, suite à la chanson d’Idir inspirée de cette légende. Grâce au grand poète Ben Muḥemmed, parolier de la chanson, et la douce voix de Idir, le chant de se récit ne cesse d’envoûter les amoureux du verbe et de la belle parole avec une mélodie qui porte en elle l’âme profonde de la Kabylie.

Voici donc Tamacahutt n Vava inuva (le conte de Vava inuva). A préciser que d’autres variantes, peuvent exister :

Amacahu, Illu ad t-isselhu. Ad yiɣzif amzun d asaru.

A l’époque où les bêtes avaient le don de la parole et pouvaient échanger des propos comme les humains pouvaient discuter, un petit foyer au cœur d’un village kabyle abritait une famille modeste. Les cinq enfants, dont quatre garçons et une fille, avaient tous un don de Mère Nature qui les rendaient exceptionnels parmi tous les enfants du village.

Les garçons tenaient de leur père sa grande taille et sa force corporelle qui leur permettait de faire le travail de dix hommes réunis. On racontait de ses prouesses qu’il pouvait assommer d’un seul coup de poing le plus indocile des plus ardents des taureaux. La famille a su alors gagner le respect de tous les villageois comme de toute la tribu et la petite fille Ɣriva était tellement aimée, chérie et protégée que personne ne pouvait l’approcher.

L’ainé de la famille avait toujours une massue comme arme. Il jouissait de la faculté de fendre la terre  par un seul coup de massue sur plusieurs pieds en profondeur. Le cadet avait le don de voir à travers les murs et les objets. Le troisième avait l’ouïe tellement fine qu’on disait de lui « Isell i nnda mi ara tekkat » (Il entendait la rosée tomber). Quand au quatrième, il avait une habilité des mains telle qu’on disait de lui « Izmer ad d-ikkes tamellalt seg ugdef n tsekkurt, ur tettaki » (Il pouvait retirer un œuf à une perdrix durant la couvaison sans qu’elle ne s’en rende compte). Quand à la fille Ɣriba, elle tenait de sa mère sa splendide beauté. Elle avait la fraîcheur des plaines encrée sur ses joues, et le chant des oiseaux émaner de sa voix. Et l’on disait sur sa beauté « Ula d aman ttbanen-d am tregwa mi ara tturugen di tyersi-s » (On peut voir l’eau ruisseler comme des ruisseaux dans sa gorge ».

Dans ces temps anciens, les Kabyles avaient pour coutume de se rencontrer à « Tajmaɛt » pour échanger, discuter, entendre la rumeur et la commenter, ainsi que gérer les affaires du village. Cet endroit aménagé pour les réunions en bas du village était l’agora de toutes les tribus et faisait alors office d’Etat. Toute personne née ou admise au village devait se soumettre à l’autorité de Tajmaɛt. Tel était le bon sens. La grâce du village prenait racine à cet endroit, et en contre partie, toute personne ayant commis un délit devait y être immédiatement puni afin de donner l’exemple. On parlait à tour de rôle. Quand le père des quatre frères et de Ɣriba prit la parole, celui-ci, par colère et énervement, haussa le ton sur ses confrères et par là transgressa la loi du respect.

Honteux de son erreur, il devait faire sa pénitence de lui-même. Il prit place par terre et ses jambes commençaient à faire pousser des racines pour s’ancrer dans la terre.

Ayant reconnu sa pénitence, les villageois ont essayé de le relever, sans jamais y parvenir, à moins de le blesser ou de lui couper les jambes. Son corps s’était entrelacé à Mère Nature et sa pénitence devait durer encore plus longtemps.

Vava Inuva ne pouvait rentrer chez lui, et pour le protéger des malfortunes, des intempéries, des prédateurs et du terrible Waɣzen (l’ogre), les villageois décidèrent de construire une hutte en torchis autour de lui. Une porte alors donnait accès à son emplacement et on avait installé une cale afin de la sceller contre toute intrusion.

Ainsi les jours passèrent et Vava Inuva les passa sans son embrasement et sa pénitence. Sa fille Ɣriba lui apportait à manger deux fois par jour tout en tenant à le protéger. Ils s’étaient entendus sur un mot de passe à prononcer pour que le vieil homme puisse lui permettre d’entrer. A chaque fois que la fille se présentait devant la porte de la hutte, elle devait dire :
– « Ttxil-k ldi-in tawwurt, a Vava Inuva » (Je te pris de m’ouvrir la porte, ô Vava Inuva)

L’entendant dire cela, le vieil homme répondait aussitôt :
– « Sčenčen tizebgatin-im, a yella Ɣriva » (Fais tinter tes bracelets, Ɣriva ma fille)

La fille faisant tinter ses bracelets d’argent, le père retirait la cale de la porte et la faisait entrer pour qu’elle lui donne à manger.

Le plan marchait parfaitement durant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’un soir, la malchance leur rendit visite. Le terrible Waɣzen passait non loin de leur emplacement et entendit les paroles échangées entre la fille et son père. L’idée maléfique ne tarda pas à lui venir en tête. Il attendit le départ de la fille, s’approcha de la hutte et se mis à prononcer les paroles de la fille :
– « Ttxil-k ldi-in tawwurt, a Vava Inuva » (Je te pris de m’ouvrir la porte, ô Vava Inuva)

Or, sa voix était tellement grave, d’un timbre si rauque que le vieil homme reconnut immédiatement qu’il s’agissait d’un imposteur.
– « Ṛuḥ fell-i, ur telliḍ ara d yell-i. Ur telliɣ tawwurt alamma sliɣ i taɣect-is d tzebgatin-is. Ecc akkin, err akkin. » (Eloigne-toi de moi, tu n’es pas ma fille. Je n’ouvrirai la porte que lorsque j’entendrais sa voix et le tintement de ses bracelets. Éloigne-toi et ne reviens pas. )

Le lendemain, lors de l’arrivée de sa fille, le père lui fit répéter la procédure du mot de passe trois fois avant d’ouvrir la porte. Prise par l’intrigue face au comportement de son père, Ɣriva demanda à son entrée pourquoi tant d’insistance. Le père répondit :
– Quelqu’un a voulu m’abuser hier soir ma fille. Il a essayé d’imiter ta voix, mais j’ai refusé de lui ouvrir.
– Ça doit sûrement être Waɣzen. Les villageois racontent qu’ils l’ont vu dans les parages ces derniers jours. Fais attention à toi Vava Inuva, et n’ouvre à personne d’autre que moi.

Waɣzen était connu terrible et féroce, mais pas moins intelligent. Afin de pouvoir tromper le vieil homme, il alla demander conseil à Amɣar Azemni (Le vieux sage). Il se présenta modestement devant lui et l’aborda comme suit :
-« Helkeɣ tiyersi-inu,
Yewwet-iyi waḍu,
Sutreɣ-ak ddwa n ḥellu. »
(Je souffre de ma gorge. Ma voix s’aggrave par le rhume. Je prie guérison auprès de toi.)

Le sage répondit calmement :
-« A winn yewwet waḍu
Ittnadin ad yeḥlu,
Dhen tassemt n uḥuli,
Anda i ak-tebren tyersi,
Ad tt-sefḍen seg-k iweḍfen,
Wid iqeddcen ur ḥebbsen»
(A toi qui cherche guérison, enduis-toi la gorge de graisse d’agneau, que les fourmis te retireront.)

Waɣzen écouta les sages paroles et demanda que faire à propos des bracelets. Le sage répondit :
-« Af yiri n tɣezṛatin,
Ttmirint tjeɣlalin,
Iččenčunen am tzebgatin. »
(Au bord des ruisseaux, tu trouveras des coquilles des escargots au tintement de bracelets.)

A la fin de l’entretien, Waɣzen pressa le pas de rentrer chez lui. Il s’enduit la gorge avec une épaisse couche de graisse et se blottit durant des heures contre un fourmilière. Il ouvrit alors grand la bouche et laissa les fourmis rentrer, se nourrir de toute la graisse et lubrifier son gosier. A la fin de la journée, Waɣzen essaya de lancer un cri et s’étonna de sa voix qui était aussi fine et aigüe que celle d’une petite fille. Il passa alors près du ruisseau et ramassa une dizaine de coquillages, en fit un collier qu’il faisait tinter comme des bracelets d’argent.

Content de sa prouesse, Waɣzen se rendit à la hutte du vieux père. Il fit mine de frapper à la porte, et prononça les paroles :
– « Ttxil-k ldi-in tawwurt, a Vava Inuva » (Je te pris de m’ouvrir la porte, ô Vava Inuva)

Croyant avoir à faire à sa fille, le vieil homme répondit :
– « Sčenčen tizebgatin-im, a yella Ɣriva » (Fais tinter tes bracelets, Ɣriva ma fille)

Ayant réussi de se faire passer pour la fille, Waɣzen fit tinter son collier de coquillages qui produisait le même son que celui des bracelets de Ɣriva. Confiant, le vieil homme retira la cale de la porte et laissa entrer le terrible monstre. Waɣzen lui saute dessus avec ses longues griffes.
– « Ddunit fell-ak tekfa,
A Vava Inuva,
A baba-s n Ɣriba »
(Ainsi s’achève ta vie Vava Inuva, père de Ɣriva )

Il le prit de toutes ses forces et lui dit encore :
– Par où veux-tu que je commence à te dévorer ?
– Par les jambes, répondit l’autre dans l’espoir de le tromper et gagner du temps.

Waɣzen commença alors à le dévorer, en partant des pieds enracinés dans le sol. Ɣriba arriva et vit l’horrible scène dont son père était victime. Elle pressa le pas pour avertir le village, mais l’ogre ayant dévoré son père la rattrapa aussitôt.

Attachée par des cordes extraites de la hutte, Ɣriba fut emmenée par l’ogre dans sa tanière pour s’en servir de repas la prochaine fois qu’il aurait faim. Consciente du terrible sort qui l’attendait, Ɣriba se mit à crier de toutes ses forces sans jamais parvenir à se faire entendre par les villageois.

Ayant l’ouïe la plus fine au monde au point d’entendre la rosée tomber, le troisième de ses frères entendit les cris. Il avertit ses frère et se rendirent ensemble à la hutte de leur père. Que du sang et des ossements couvrant le sol de la petite hutte. Le corps de Ɣriva avait disparu.

Guidé par les cris de sa sœur, le frère à l’ouïe affinée conduisit ses frères à la tanière de l’ogre. Ainsi, la fille fut retrouvée attachée tandis que le monstre était allé chasser. Elle était contente que ses frères aux dons exceptionnelles purent venir à son secours. Ɣriva apprend à ses frères que Waɣzen l’avait gardée pour l’épouser et non pas pour la dévorer.

Waɣzen n’était pas loin et pouvait les surprendre à tout moment s’ils essayaient de la secourir. Afin de pouvoir tromper Waɣzen, les cinq frères et sœur s’entendirent à ne délivrer Ɣriba qu’une fois Waɣzen rentré et plongé dans un profond sommeil. Les quatre frères se dissimulent alors derrière un mur en pierre. Une fois rentré, Waɣzen se blottit aux cotés de Ɣriba sa désirée et s’endort profondément. Le frère pouvant voir à travers les murs surveillait son sommeil avant que le frère aux mains habiles ne s’approcha de lui. Avec discrétion et silence absolu, il dénoua sa sœur de ses liens et la libéra.

L’opération accomplie, les quatre garçons rentrèrent avec leur sœur en courant à toute allure avant  de se reposer au tronc d’un olivier. Leur repos fut rompu par l’alerte du frère à l’ouïe fine qui entendit Waɣzen se réveiller :
– Waɣzen ifaq. A-t-a deffir-neɣ !
(Waɣzen s’est aperçu. Il est à nous trousses !)

L’ainé rétorqua aussitôt :
– Anef-as kan. Tura d ccɣel-iw.
(Laisse-le. C’est mon affaire désormais)

Il s’arma de sa massue et l’écrasa sur le sol pour creuser une fosse aux dimensions si larges qu’elle accueilli tous ses frère et sa sœur. Ils s’engouffrèrent à l’intérieur au moment même où l’ogre arrivait. Waɣzen s’approchait comme un prédateur, honteux qu’on puisse entrer dans sa tanière, et furieux qu’on ait enlevé de ses bras sa promise. Il flairait dans tous les sens et sentais la chaire humaine sans jamais voir aucune silhouette.
– Llan, ur llin. Iɛṛeq-iyi ttexmim.
(Ils sont là sans que je les vois. Que penser de cela ?)

Confus et déçu de lui-même, Waɣzen se lassa et finit par rebrousser le chemin. Les quatre frères ne voulant pas se faire repérer, aménagèrent la fosse pour le confort de leur sœur en attendant l’aube. Aux premiers rayons du soleil, ils prirent tous le chemin de leur village. Quelques mois plus tard, l’ogre n’ayant pas encore perdu espoir en Ɣriba, les frères le trouvèrent en train de la guetter. Ils le prirent d’assaut et le tuèrent tous ensemble. De retour au village, ils furent tous accueillis en héros.

Ur keffunt tmucuha-inu akken keffun yirden d temẓin. Ar yennayer ad nečč aksum s tḥemmẓin, alamma nga tiwenzizin

Mes récits ne s’achèvent comme s’achèvent le blé et l’orge. A Yennayer venu, nous mangerons de la viande aux poids chiches jusqu’à avoir des pommettes rouges et enflées.

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