Amulli amenzu n tmettant n Dr Fexxaṛ : "Timenɣiwt d tekdaẓri tamẓabit", sɣuṛ Allas Di Tlelli
J’ai longtemps hésité, ne sachant plus s’il était plus décent de m’exprimer ou de me taire. J’ai donc passé mon temps à lire les réactions, toutes les réactions. Naturellement, je me suis reconnu dans les plus sincères. En revanche, je n’ai eu que du mépris pour les hypocrites, ceux qui découvrent Fekhar une fois mort et qui étalent une affectation à faire regretter de savoir lire.
Est-ce le moment de se donner une bonne conscience, à moindre prix, après l’avoir totalement oublié et ignoré ? Est-ce celui de l’étonnement ou celui de la récupération politique à laquelle les bonimenteurs de l’agitation algérienne du vendredi ne manqueront pas, toute honte bue, de s’adonner ; eux qui n’ont pas seulement ignoré le docteur Fekhar dans sa longue lutte pour sa dignité et pour la liberté de son peuple, mais, pour les plus sonores d’entre eux, il était l’opposant et même l’ennemie juré… Est-ce le temps de se taire pour ne pas ajouter du bruit au bruit, le temps d’une vie offerte volontairement par un militant serein dans sa détermination, mais réduit à cette solution extrême pour retrouver sa liberté, mais aussi, pour, espérait-il, secouer une opinion et une société sclérosées par l’hypocrisie, le racisme et la lâcheté.
Arrêté le 31 mars 2019 et embarqué au commissariat avec ses enfants qui étaient à ses côtés au moment de l’interpellation, le Dr Fekhar se retrouvera très vite en prison. Au même moment, son compagnon, Aouf Hadj Brahim, sous contrôle judiciaire, venait de signer sa présence au tribunal de Ghardaïa quand il fut arrêté et agressé physiquement par des policiers qui l’y attendaient. Tous les deux sont jetés dans un 2 mètres carré infesté d’insectes et de puanteurs pestilentielles, avec, au bout, une cuvette de toilettes turques infecte que leur pieds atteignaient lorsqu’ils sont s’allongés sur ce qui leur servait de lits. Immédiatement, les deux prisonniers politiques entamèrent une grève de la faim pour protester contre leur arrestation arbitraire et les conditions inhumaines de leur détention.
La grève de la faim les ayant surement affaiblis, les deux hommes souffrent déjà de maux de têtes, de fièvre et d’autres symptômes indiquant la présence d’une infection dans leurs corps. En violation du tous les textes de lois et des chartes ratifiées par l’Etat algérien, ils sont laissés sans soins pendant une dizaine de jours. Devant la dégradation de leur état de santé, ils sont transférés vers le pavillon carcéral de l’hôpital de Ghardaïa qui était dans un état calamiteux. Un vrai dépotoir. L’avocat Dabouz qui leur rendait visite, témoigne : « A l’hôpital, ils étaient peu considérés, mal soignés et traités par les médecins et les infirmiers non comme des malades dont l’état de santé inquiète, mais comme des détenus de droit commun ». Le Dr Fekhar lui confia qu’un médecin à qui il avait demandé de s’approcher pour lui donner son avis de médecin sur son propre état, lui avait signifié qu’il lui été interdit de lui parler.
Quelques jours avant sa mort, prise de panique, l’épouse de Fekhar alerte Me Dabouz sur la situation de son époux qui ne s’était pas réveillé durant toute la durée de la visite qu’elle lui avait rendue ce jour-là. L’avocat lance aussitôt un SOS qui a été largement diffusé : « Fekhar, dans un état comateux, est en danger de mort ».
Nous étions au plus fort des marches hebdomadaires, mais, totalement ignoré par les « révolutionnaires » post-prière du vendredi, le soldat Fekhar était abandonné au sort que lui avait réservé le pouvoir algérien. Trois jours avant sa mort, à travers une forte mobilisation, Oran revendiqua la libération de… deux hirakistes. Le nom de Fekhar n’était nulle part prononcé. Transféré en urgence, le 28 mai 2019, à l’hôpital de Blida, il s’éteindra le jour-même(1). Comme si cela ne suffisait pas, il subira, un mois après (juillet), un acharnement post-mortem à travers la profanation de sa tombe, au carré mozabite du cimetière El Alia (Alger).
Ainsi donc, Kameleddine Fekhar s’en est allé en ayant été jusqu’au bout de sa grève de la faim et de son combat(2). Sa détermination n’était pas un vain mot, elle n’était pas de l’ordre de l’humain. C’est quelque chose qui relevait d’une grandeur, d’un don de soi que peu d’hommes et de femmes peuvent atteindre, tant, il avait fait abstraction de la peur, de ses proches, de ses enfants qu’il aimait par-dessus tout; ces orphelins ignorés par une pseudo révolution qui s’émeut pourtant pour d’autres enfants de détenus douteux qui affichent de l’embonpoint à chaque apparition.
Non, le docteur Fekhar n’a pas été assassiné uniquement par le pouvoir algérien qui en a massacré des dizaines de ses compatriotes mozabites. Le docteur Fekhar est assassiné par l’indifférence et la complicité des vendredistes algériens qui n’ont, à aucun moment, intégré l’exigence de sa libération dans aucune marche des vendredis poste-prière qui étaient, précisons-le, à leur apogée et le régime algérien vacillant car pas encore reconstitué. Sauver le soldat Fekhar était donc à la portée des marcheurs. C’était compter sans le fait que dans l’esprit de ces révolutionnaires de la société du spectacle, Fekhar était Mozabite, il était amazigh, il était de culture ibadite, il était autonomiste et trop proche des indépendantistes kabyles, par conséquent, ne rentrant pas dans le moule du « khawa khawa », il était bon à périr.
Faudrait-il rappeler aussi qu’il a été proche des souverainistes kabyles qui furent ses soutiens les plus fervents et ce, jusqu’à sa libération en 2017. Des pétitions et des rassemblements en France et en Kabylie, pour exiger sa libération et celles de ses codétenus, ont été nombreux et il m’en avait exprimé sa reconnaissance lors des rares fois où j’ai eu la chance de discuter avec lui. C’est dans ce sens que s’est inscrite sa présence physique lors des marches et autres actions du même mouvement, aussi bien en Kabylie qu’à l’étranger.
Loin d’être une mort, c’est déjà un assassinat politique. Plus que ça, c’est un message d’une puissance sidérale pour son peuple qui s’en inspirera pour ne jamais abdiquer, pour ne jamais disparaître comme le souhaitent pouvoir algérien, populations algériennes et bien entendu, islamistes de tout poil.
En novembre 2016, il confia déjà à son avocat : « Cette grève de la faim s’arrêtera par la liberté ou ma mort ». En 2017, quelques temps avant sa libération et alors qu’il menait la même bataille en prison, son avocat rapporta de lui, ce message adressé au peuple mozabite : « Soyez prêts pour exploiter ma mort, pour continuer le combat »(3).
Pour ma part, je suis particulièrement honoré par sa présence dans mon dernier livre, à travers une contribution où il a souligné la portée multidimensionnelle de la laïcité et du combat pour la liberté des femmes(4); chose exceptionnelle quand on connait le poids des traditions dans la société mozabite.
Aussi, j’aurais tant aimé lui redire avant son départ, ce que je lui avais transmis en mars 2017, au moment le plus critique de son avant-dernière grève de la faim. J’avais alors écrit ceci :
« Si cette petite voix du montagnard de Kabylie pourrait arriver jusqu’à toi, je te demanderai instamment, à défaut de l’arrêter définitivement, de surseoir à cette grève de la faim ; le régime raciste en place ayant suffisamment montré des signes qui ne trompent pas sur son désir profond de voir le Dr Fekhar périr, et le peuple Mozabite ayant, plus que jamais, besoin de toi vivant. ».
Ne l’oublions pas et n’oublions pas les autres détenus mozabites, notamment le plus ancien d’entre eux, Babanedjar qui est en détention depuis 2005, ainsi que les exilés politiques du peuple mzab, à l’image de Khodir Sekkouti et Salah Abbouna.
Je m’incline devant ta mémoire et je te demande pardon…