Lifa Hennad, de son vrai prénom Dherifa, est une jeune artiste au talent distinguée. Avec sa voix envoûtante s’adaptant à différents styles, elle a pu séduire un large public et s’attirer l’admiration des plus grandes figures de la chanson kabyle. Avec une passion précoce pour la musique et le chant, elle a pu développer au fil des années son propre style. Nous traçons dans cet article les plus importants rebondissements du parcours de l’un des visages de la nouvelle scène artistique Kabyle.
Une enfance joyeuse
Née le 11 mai 1987 au village At Buyeḥya{Ait Bouyahia} dans la région d’At Dwala, Lifa a eu droit à une enfance bien joyeuse. D’une mère douce et d’un père stricte mais tout aussi affectueux, elle a pu se forger une personnalité sensible qui se reflète le plus souvent dans ses chansons. Elle a aussi grandi dans une famille nombreuse constituée de 4 frères et de 3 sœurs qui ont tous contribué à un climat chaleureux et serein. Lifa est la 7ème et la cadette d’entre ses sœurs.
« J’étais débordante d’énergie, et je dépensais cela dans le jeu et la découverte des instruments de musique de mon père », se rappelle-t-elle. En effet, son père était banjoïste et animait des galas dans son village, notamment. Lifa et ses frères avaient alors la chance d’assister à toutes ces manifestations et de prendre de la graine de leur père qui maîtrisait plusieurs instruments.
En grandissant, elle, son frère Moh et Rezzak ont fini par s’installer dans le paysage musical Kabyle : « Mes grands frère Mouloud et Rabah sont aussi passionnés de musique, mais ils jouent juste pour le plaisir […] Quant à mes sœurs, elles n’ont pas suivi ce chemin », nous a-t-elle confié.
Premiers contacts avec la musique
Lifa a alors grandi entourée d’instruments de musique dont un accordéon, une guitare et un banjo. C’est d’ailleurs en tâtonnant, elle et ses frères, sur ces instruments qu’elle a eu ses premiers contacts avec le monde de la musique. Ils s’amusaient ensemble à essayer de jouer des mélodies, sans pour autant avoir des ambitions de devenir des musiciens ou chanteurs.
Une fois à l’école primaire, la jeune Lifa intègre un groupe de chorale polyphonique qui n’a fait qu’aiguiser son envie de chanter. Elle a pu d’ailleurs, plus tard au collège, participer à des compétitions de chant inter-écoles et inter-villages. Toutefois, la jeune pousse et ses deux frères n’aspiraient pas encore à faire carrière dans la musique, notamment à cause de la pression de leur père qui insistait à ce qu’ils se concentrent sur leurs études.
Premières expériences sur la scène
Après avoir obtenu son BAC en 2006, Lifa poursuit ses études en droit à l’Université de Tizi Ouzou. C’était d’ailleurs l’occasion pour elle d’intégrer plusieurs ateliers de musique de la maison de culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Elle a pu y découvrir des notions théoriques de la musique et ainsi combler des lacunes de musicienne autodidacte. Les différents ateliers de styles musicaux dont le chabi, l’andalous et la musique classique, ont également permis à Lifa de diversifier ses connaissances en musique et en chant : « J’étais insatiable, je ne pouvais me satisfaire avec un seul style ou d’un seul atelier », a-t-elle expliqué.
L’adhésion à ces ateliers était aussi une occasion pour elle de participer à des spectacles organisés tout le long de l’année. Cela lui a permis de découvrir la scène, de se faire découvrir par d’autres grand artistes et être sollicitée, par la suite, à de nombreux événements.
La toute première expérience de Lifa sur scène était l’interprétation, non pas d’une chanson, mais d’un morceau de musique avec sa guitare en compagnie de ses camarades et de son enseignant de guitare classique, M. Ouaguenini Hocine, en 2006. La jeune artiste nous a confié qu’elle avait beaucoup de trac ce jour là.
En tant que chanteuse, la première prestation sur scène de Lifa a eu lieu en 2008. En effet, toujours dans le cadre des ateliers qu’elle avait intégrés, notamment celui de la musique andalouse en langues tamazight, elle a pu chanter Ouaba Sikiya avec son professeur Mohand Arezki N Slimane Tiab.
… et des obstacles
Bien que Lifa a pu s’investir dans sa passion qui était la musique, elle n’a pas pu émerger rapidement et lancer sa carrière à cause de nombreux obstacles : « Mon père insistait sur mes études […] il avait aussi beaucoup peur pour moi, lors de mes déplacements. Comme on le sait tous, la femme artiste est mal vue par notre société », a-t-elle martelé. Toutefois, Lifa a eu la chance d’avoir deux frères musiciens qui lui ont apporté leur soutien. En effet, ces derniers l’accompagnaient partout où elle allait et cela a fini par rassurer son père : « J’ai raté plusieurs occasions et d’opportunités à cause de ça, mais plus tard mon père a pu voir que je pouvais me débrouiller. Aujourd’hui, je le remercie pour sa confiance. »
Lifa avait aussi évoqué la situation de l’artiste en Kabylie et le besoin financier que toute personne émet : « Travailler pour vivre s’est vite imposé, mais comme on le sait tous, dans ce pays, il n’est pas toujours facile de vivre de sa passion. Le travail d’artiste ne permet pas de répondre aux besoins quotidiens ». En effet, la chanteuse, avait commencé à travailler en tant qu’animatrice de musique dans la maison de jeune d’At Dwala et celle de Fatma Bouserak à Tizi Ouzou. En parallèle, elle travaillera aussi à la DJS (direction des jeunesses et des sports) de Tizi Ouzou.
Le trio Hennad et le décès tragique de Moh
Lifa était entourée de ses deux frères musiciens : Rezzak, le cadet, surnommé Picha et aujourd’hui âgé de 31 ans, est violoniste et guitariste ainsi que le regretté Moh, bonjoiste et guitariste. Cela a beaucoup aidé Lifa à se sentir en sécurité partout où elle souhaitait exercer son art. Ensemble, ils formaient un trio qu’on pouvait retrouver sur scène, au studio et dans des clips.« C’est les gens qui nous appelaient trio Hennad, vu qu’on joue de la musique ensemble et en famille », avait-elle précisé avant de poursuivre : « Nous travaillions indépendamment avec d’autres chanteurs, moi en tant que choriste et mes frères en tant que musiciens. Mais quand il s’agit de mon propre travail (a titre individuel) nous partions en trio. C’était eux mes musiciens ! »
Malheureusement, Moh n’a pas pu continuer l’aventure. En effet, le jeune et talentueux musicien, alors âgé de 33 ans, nous a quittés le 30 janvier 2019 après avoir passé 20 jours dans le coma des suites d’un AVC. Cette nouvelle a suscité une très grande émotion chez beaucoup d’artistes et admirateurs. Lifa a toujours exprimé son amour et sa reconnaissance envers ce frère qui a toujours été là pour elle et qui l’avait accompagné tout le long de son parcours artistique. Une dure épreuve pour Lifa, qui a su, depuis, retrouver les forces pour son cheminement artistique. Elle le fait aussi en hommage et à la mémoire de Moh.
En tournée avec Takfarinas
Suite aux divers spectacles que Lifa a dû affronter, elle a commencé à être remarquée puis sollicitée lors de plusieurs événements importants. C’était notamment le cas en 2012, où elle a fait partie de la chorale de Takfarinas durant toute sa tournée, notamment à Tizi Wezzu, Bgayet ainsi qu’à Alger.
« Je n’ai jamais imaginé que je travaillerai avec un grand comme Takfarinas. C’était un honneur pour moi », se réjouit-elle de cette expérience. Toutefois, l’aventure ne s’arrêtera pas là. En effet, Lifa finira par chanter avec les plus grands artistes de la chanson Kabyle : « Je rêvais aussi de rencontrer d’autres artistes comme Nouara, Zedek Mouloud et tant d’autres. Et maintenant j’ai réalisé mes rêves. Je ne sais pas comment je me suis retrouvée avec eux. A chaque fois qu’il y a un événement, on me sollicite ».
Collaboration avec d’autres grandes figures artistiques kabyles
Lifa a eu l’honneur de chanter, travailler ou tout simplement rencontrer de nombreux artistes kabyles. En 2014, elle a animé la première partie du concert d’Allaoua en chantant 4 titres, dans une soirée plage à Azeffoun. En 2017, elle a fait un premier duo avec Zedek Mouloud avec la chanson « Din din » dans un événement à Boudjima. Plus tard, Zedek Mouloud la sollicitera pour toutes ses prestations de « Din Din », ce qui a énormément aidé Lifa à se faire découvrir par un large public. Elle se produit également autant que choriste avec Lounis Aït Menguellet.
Cette jeune passionnée et dévouée à la musique continuera de saisir les opportunités et de travailler avec de nombreux artistes de renom, Nouara, Amour Abdenour, Atmani, Rabah Ouferhat, Akli Yahyaten, Lḥesnawi Amecṭuh, Rabeh Asma, Brahim Tayeb, Yasmina, Noria et beaucoup d’autres rencontres qui ont contribué à l’émergence de cette jeune artiste.
Compétitions et prix
Lifa a aussi participé à de nombreuses compétitions et concours de chant où elle a pu se démarquer parmi les candidats. En effet, en 2014, elle a gagné le prix du concours de « la jeune innovatrice », organisé à Leghouat.
En 2015, elle remporte, avec son frère Rezak et leur ami Idir Kacimi, le premier prix du meilleur trio, à la troisième édition du concours de la musique instrumentale classique nommé « Prix Mohamed Iguerbouchène », organisé à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou.
En 2016, elle a été sélectionnée parmi les 3 meilleures voix féminines de la première édition du concours Anza Lwennas, organisé par la fondation Matoub Lounes en hommage au Rebelle.
En plus de participer à des concours, Lifa prend part à plusieurs activités. En effet, chaque année, elle participe au festival Raconte-Arts. Elle avait également participé au festival de la chanson kabyle organisé à Bgayet{Béjaia} en mars 2020. La jeune chanteuse s’implique également dans des activités de charité. Elle a d’ailleurs participé à de nombreux galas au profit des enfants, des personnes malades et toute personne ayant besoin de retrouver le sourire : « Nécessiteux, malades, parents abandonnés, les personnes en situation d’handicap… Ça me fais toujours plaisir de leurs partager des moments de joie. Et c’est un devoir ! », assure-t-elle.
Reprise de la chanson « Ur ilaq », une révélation
En 2016, Lifa a conquis le public avec une magnifique reprise de la chanson « Ur ilaq ad iyi-tcaḥneḍ » de Zohra, une célèbre artiste kabyle dont Lifa regrette la disparition. Avec l’aide de ses deux frères musiciens, Moh et Rezzak, qui ont apporté des arrangement et qui l’ont accompagnée à la guitare, Lifa a pu livrer une version douce de la chanson, dans un clip très sobre la mettant, elle et ses frères, en scène. Cette reprise a été vue par plus d’un demi millions d’internautes. Un succès auquel elle ne s’attendait pas : « Cette reprise a fait le buzz ! D’ailleurs, beaucoup de personnes m’ont contactée par la suite ».
En 2018, en compagnie d’autres jeunes artistes, dont Yasmine Taleb, Sylas Koukou et Les Chômeurs Kabyle, Lifa participe à la commémoration du 20ème anniversaire de l’assassinat de Matoub Lounès. Un bel hommage constitué de plusieurs passages de différentes chansons du rebelle.
Dans la même année, elle a participé à un hommage au célèbre chanteur Chaabi, Khaloui Lounès, organisé à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Elle avait interprété une de ses célèbres chansons : « Jarbeɣ yak medden ».
Suite à tous ses succès, Lifa a été contactée, de nombreuses fois, par des chaînes de télévision, notamment dans des émissions dédiées à la musique et à l’art. En 2016, elle a été sur le plateau de TV4où elle a interprété l’émouvante chanson « A Weltma » de Zedek Mouloud. Berbère TV a aussi fait appel de nombreuses fois à Lifa pour interpréter des chansons des plus grands artistes Kabyles. En 2018 elle a été invitée, avec son regretté frère Moh, à l’émission « Cnu-aɣ-id » où elle a chanté Tilemzit d’Ali Ideflawen En 2019, c’est dans une autre émission intitulée « Aẓawan » qu’elle a interprété la célèbre chanson « Afus-im » de Djamel Allam. Son frère était également présent pour l’accompagner à la guitare.
Une série de singles en hommage aux pionniers
Pour l’enregistrement de ses propres chansons, Lifa a décidé de dédier son premier single à Mohamed Benhanafi, un grand poète kabyle et célèbre animateur de radio à la Chaîne 2. Le texte de la chanson lui a été composé la veille de son enterrement par le chanteur Nordine Lekhal : « Benhanafi était un pilier de la culture kabyle, alors c’est en lui rendant hommage que je me suis tracée mon chemin ».
Une année plus tard, Lifa sort un autre single pour rendre hommage aux parents, et plus précisément aux pères. Une chanson composée par Nordine Lekhal inspiré des sentiments que Lifa lui racontait.
Lifa nous a avoué qu’elle ne pouvait pas chanter ce qu’elle ne ressentait pas : « Il est important pour moi de chanter mes émotions et mes sentiments, et que ces derniers se retrouvent dans la mélodie et la parole ». C’était d’ailleurs le cas, avec sa chanson « A Vava » qui a touché le public. Celle-ci a fait plus de 100 000 vues sur Youtube.
Dans la même année, Lifa continue sa carrière et cette fois avec un nouveau single intitulé « Iẓekwan » : « C’est aussi un hommage pour toute âme qui s’est sacrifiée pour notre pays et taqbaylit en particulier », a-t-elle précisé.
« je veux honorer la mémoire de mon frère Moh »
Très récemment, suite au décès de son frère Moh en 2019, Lifa lui a rendu hommage avec la chanson « A Weltma » de Zedek Mouloud dans la même année, dans un clip montrant quelques souvenir du défunt. « Cette chanson me tient beaucoup à cœur, puisqu’elle me rappelle le décès de mon frère Moh, que la paix soit sur lui. J’avais chanté cette chanson dans plusieurs occasions, mais qui aurait cru qu’un jour je la chanterais en hommage à mon défunt frère », a-t-elle confié, émue.
Toutefois, avant de faire apparition avec un nouveau projet, Lifa se voue à rendre un hommage plus significatif à son frère avant de continuer son parcours musical : « Actuellement, je prépare un hommage à mon frère Moh qui nous a quittés. C’est grâce à lui que je suis arrivée là, il m’a accompagné partout depuis mes débuts, et je ne peux pas continuer mon chemin sans reconnaître sa contribution à la construction de ma personnalité artistique. Pour cela, je prépare un clip single.»
En parallèle, Lifa prépare son premier album qui est en cours d’enregistrement. Elle prépare aussi deux chansons avec clip sur l’environnement. « Ce sont deux clips chansons que je vais réaliser pour les enfants », a-t-elle précisé. Elle a par ailleurs livré une magnifique reprisede la chanson « Leɣzal » de Anissa Mezaguer, une des pionnière de la chanson kabyle féminine, le 30 juillet dernier.
Le rêve de Lifa est de tout simplement honorer la chanson kabyle et d’atteindre le niveau des anciens artistes kabyles. « Et surtout, je veux honorer la mémoire de mon défunt frère qui était mon bras droit mon musicien préféré, mon soutien. Il était tout pour moi », avait-elle insisté. La jeune chanteuse souhaite également voyager partout dans le monde et représenter dignement la chanson kabyle.
Suivre Lifa Hennad sur Facebook, Instagram et YouTube.
par Sonia Ait Benamer